L’océan Indien est en pleine mutation stratégique avec des acteurs régionaux et extérieurs comme la Chine dont les ambitions bousculent les cadres traditionnels. Il importe de bien analyser les processus en cours, en particulier avec les projets chinois porteurs d’unification et de polarisation, au risque d’un emballement déstabilisant.
Au-delà de l’« arc de crises » : quelles nouvelles dynamiques stratégiques dans l’océan Indien ?
Beyond the Arc of Crisis: What is New in the Strategic Dynamic of the Indian Ocean?
The Indian Ocean is undergoing major strategic change involving players from within the region but also from outside, such as China, whose ambitions are overturning established frameworks. It is important to analyse fully what is happening, particularly in view of Chinese projects which bring both unification and polarisation and therefore the risk of destabilisation if matters run out of control.
Longtemps, l’océan Indien a été perçu comme une simple zone de passage entre l’Asie et l’Europe. En 1966, Alastair Buchan, alors directeur de l’International Institute for Strategic Studies, écrivait sans ambages qu’il n’était « rien de plus qu’une étendue d’eau entourée de terre et non un ensemble stratégique comme l’Atlantique et le Pacifique » (1). En France, la zone n’a suscité que très peu de travaux sous l’angle stratégique (2). Pourtant, la France y garde la pleine souveraineté sur un ensemble de territoires (La Réunion, Mayotte, les îles Éparses) et dispose d’un commandement militaire pour l’ensemble de la région – Alindien – depuis 1973. C’est pourquoi il est nécessaire de débattre de la nature stratégique de l’océan Indien, des nouvelles dynamiques qui s’y dessinent et de leurs conséquences sur les intérêts français dans la région.
Lectures françaises de l’océan Indien
Le diagnostic français sur l’océan Indien a sensiblement évolué au cours des dix dernières années. En 2008, au moment où la piraterie au large de la Somalie prend une ampleur régionale, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (LBDSN) affirme l’idée d’un « arc de crises » qui s’étendrait de la zone sahélienne jusqu’à l’Afghanistan (3). Le terme trouve son origine dans le débat stratégique américain de la fin des années 1970. Ainsi, en décembre 1978, Zbigniew Brzezinski, alors conseiller à la sécurité nationale du président Jimmy Carter, affirme qu’« un arc de crises s’étend le long des rives de l’océan Indien, avec des structures politiques et sociales fragiles dans une région vitale pour nos intérêts et menacées de fragmentation » (4).
Nonobstant l’absence de lien direct entre les situations de chacun des pays bordant l’océan Indien, le terme permet aux rédacteurs du LBDSN d’englober des problématiques telles que la piraterie maritime, les trafics illicites (drogue, armes), mais aussi des crises régionales (Corne de l’Afrique, golfe Persique, conflit indo-pakistanais). Si le terme passe bientôt dans le langage courant des armées, il fait l’objet de multiples critiques. Certains observateurs, tel le géographe Michel Foucher, soulignent l’effet déformant du concept, qui non seulement donnerait aux crises de l’océan Indien une dimension unificatrice, mais tendrait à surestimer « une menace terroriste globale dont les racines seraient concentrées dans cet arc et qui n’est pas de nature stratégique » (5).
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