Le paradoxe américain repose sur une méfiance constitutive face à l’État fédéral susceptible de remettre en cause le principe fondateur de la liberté individuelle. De fait, l’outil militaire surpuissant peut paraître en contradiction avec la volonté récurrente de réduire le champ de responsabilité de Washington.
Clausewitz et la stratégie américaine
Clausewitz and American Strategy
The American paradox stems from growing mistrust of a federal state that poses a risk to the fundamental principle of individual liberty. Given that, the all-powerful military machine might seem in contradiction to the recurrent theme of reducing Washington’s areas of responsibility.
Les stratégies nationales évoluent en fonction des circonstances géopolitiques, mais certains éléments restent remarquablement stables, comme la géographie ou la culture. Parmi ces facteurs de stabilité, ce que Clausewitz présente comme sa seconde trinité joue un rôle décisif dans la définition de la stratégie des pays. Le triangle, formé par les relations entre le gouvernement ou l’État, le peuple ou la Nation et les forces armées, détermine la résolution, la force, la volonté de vaincre d’un pays. Non seulement la cohésion de ce triangle produit la victoire, mais la nature des relations internes à cette trinité dicte, au-delà des turpitudes politiques et des aléas des relations internationales, la stratégie de long terme des pays. Ainsi, une dictature se caractérise par un lien fort entre le gouvernement et son armée, mais les liens qui unissent ces deux sommets du triangle au troisième, le peuple, sont généralement plus lâches et constitue le principal souci des dirigeants : rester au pouvoir résume souvent la stratégie des dictateurs. Les dirigeants populaires auprès des armées et du peuple, a contrario, sont ceux qui conduisent à la victoire dans l’adversité.
Depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche et la parution de la National Security Strategy, chacun cherche à décrypter le « America First » qui sert désormais de fil conducteur à la politique américaine. Un regard sur la nature du triangle stratégique américain, et la mise en lumière de ses différences avec celle de la Vieille Europe, apporte un éclairage de long terme et peut permettre de mieux comprendre nos partenaires d’outre-Atlantique. La comparaison entre la France et les États-Unis, à cet égard, est particulièrement enrichissante. L’étude de la nature politique des relations entre l’État, la Nation et l’armée éclaire le temps long de la géopolitique.
Ce qui différencie fondamentalement nos deux démocraties est bien la nature du pacte social qui fonde l’État. Le pacte américain repose sur des bases largement lockéenne, lorsque notre démocratie est essentiellement hobbesienne. Bien entendu, de multiples nuances existent, et les contre-exemples fleuriront pour infirmer cette thèse. Néanmoins, l’histoire, la culture, la tradition politique, la forme du gouvernement sont autant d’illustrations de ces différences qui expliquent, dans le temps long, bien des différences entre nos deux peuples.
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