Charles VII, une vie, une politique
Charles VII, une vie, une politique
Philippe Contamine, membre de l’Institut, est un éminent médiéviste. Il est aussi des nôtres, ayant écrit sur la guerre et d’abord sur celle que l’on dit « de cent ans ». Traitant ici de Charles VII, on le trouvera discret sur Jeanne d’Arc, à qui ce Charles devait son trône : c’est qu’il en a déjà beaucoup parlé. Ce livre d’érudit est fort plaisant à lire, constamment égayé de citations réjouissantes dans la délicieuse langue d’époque ; on n’en attendait pas tant de ce chevalier à la triste figure, qu’illustre bien le portrait de Jean Fouquet qui fait la couverture. Au reste, Charles VII savait que « mieux vaut prince simple de soy et docile à bon conseil que un prince subtil et voulantique ».
En introduction, l’auteur nous livre son intention : écrire une histoire politique de Charles de France ou de Valois (1403-1461). Trois défis attendaient le nouveau souverain : se faire obéir, construire sa légitimité, l’emporter militairement. L’auteur soutient une thèse : naissance de l’individu, annonce-t-il.
Son plan est chronologique. L’enfance de Charles (1403-1417) reflète l’inquiétude du temps et le souci que l’on a de l’éducation des dauphins de France. De 1417 à 1422, le futur roi, « rebelle et déshérité », se prépare : il voyage « ès parties de langue d’oc ». Le Traité de Troyes – rien de nouveau sous notre soleil, on le voit – envisage la fusion des deux couronnes, France et Angleterre. Scandale et contestation : « oncques Anglois ne fut roy de France ne encore ne sera ja », dit le supérieur des Carmes de Reims. Exit Charles VI : « Mercredi XXIe jour d’octobre, trespassa de ce monde le roy Charles VIe en son hôtel de Saint-Pol à Paris, environ sept heures du matin, après le IIIIe et Ve accès de fièvre quarte. Anima ejus in pace requiescat. »
Dans son Quadrilogue invectif, où l’on peut voir se dessiner l’attente de Jeanne d’Arc, Alain Chartier est lucide et sans illusion : Ma voix, dit-il, est « comme les mouettes qui par leur cry dénoncent les floz de la mer ». La discipline de chevalerie est morte, d’où suit l’anarchie militaire. Mais voici Jeanne d’Arc, l’identification quasi miraculeuse du roi, son « mandat » divin pour le faire sacrer à Reims : Jeanne entre Dieu et le roi, il y a de quoi rendre Charles VII jaloux de la Pucelle. Le 17 juillet 1429, lors du sacre de Reims, ladite Pucelle, son étendard en main, ne quitte pas son Charles d’un pas.
Dès lors, que penser de l’abandon de Jeanne d’Arc par un Charles VII bien ingrat, sans réaction aucune jusqu’au bûcher du 30 mai 1431 ? Philippe Contamine tente d’expliquer, et d’abord par le tempérament peu combatif du roi, adepte de la guerre « guerréable », que nous dirions aujourd’hui gérable, limitée aux hommes de métier. Au reste, les temps sont durs, 1438 est année de disette, « partout les loups rôdent ».
De 1440 à 1449, Charles VII reprend la main, créant, avec ses francs-archers, une garde nationale, avant de « reconquérir » son royaume, entre 1449 et 1453. Victoire acquise, vient le temps de la remise en ordre, à quoi Charles VII s’entend mieux qu’à la guerre. Peu guerrier en effet, il « avait, écrit Jean Chartier, ses jours de récréation (…) avec femmes, par lesquelles il dévoya plus que assez ». Joyeux luron donc, et pourtant dévot, « débonnaire et piteux » assistant à trois messes par jour ! Piteux il fut à la mémoire de Jeanne d’Arc, dont il demanda, en février 1450, la révision du procès, laquelle prit six années. Mais la mort du roi s’approche, sur les circonstances de laquelle plane le doute. « Il chut, écrit Georges Chastellain, en estrange maladie de la bouche, et de là en souppeçon de poison à luy préparé, par quoy volontairement et tout de gré se laissa mourir de faim. »
Bien servi, Charles VII, dirions-nous aujourd’hui, fit le job. « Il se montra à la hauteur », conclut Philippe Contamine qui, dans une annexe finale, campe le portrait d’un roi consciencieux : « Les lettres qu’il escripvoit estoient juridicques et toutes les faisoit veoir et mectre au Conseil, autrement ne les eust signées. Toutes les lettres ainsi veues et expédiées il lisoit de mot à mot et après les signoit de sa main, ne jamais n’eust cachet que la signature de sa main. » ♦