L’aviation a eu un rôle croissant durant le conflit. Au-delà de l’image d’Épinal proposée par les As, c’est bien dans l’acquisition du renseignement que les aviateurs ont apporté une contribution décisive, permettant ainsi au commandement de mieux comprendre les offensives ennemies via les missions de reconnaissance, y compris dans la profondeur.
Le vrai miracle de l’aviation pendant la Grande Guerre
The ‘Miracle of Aviation’ During the Great War
Aviation had a growing role throughout the conflict. Quite apart from the now classical image of the flying aces, aviators’ decisive contribution was in the collection of intelligence. This allowed the command to understand better the enemy’s offensives through reconnaissance missions—including those deep over enemy territory.
L’année 1918 a été parfois décrite comme l’année des chars et de l’aviation, d’ailleurs de plus en plus employés concomitamment depuis la bataille d’Amiens en août 1918. Mais les chars sont encore utilisés en petit nombre, hormis lors de la prise de Cambrai en novembre 1918 lorsque les Britanniques en engagent 300 contre la ligne Hindenburg. Il en est tout autrement des avions dont on compte quelques dizaines d’exemplaires dans les ordres de bataille en 1914 puis plusieurs milliers en 1918. Cette hausse du nombre d’appareils est obtenue grâce à un formidable effort industriel qui commence à porter réellement ses fruits en 1918. La dernière année de la guerre voit en effet à elle seule la production de 47 % des 52 000 avions fabriqués pendant toute la durée du conflit et 48 % des 92 000 moteurs. Cette production de masse est combinée à une vigoureuse politique de recrutement et de formation des aviateurs, entreprise dès 1916 qui peut être illustrée par le nombre de brevets de pilote délivrés : 16 500 pendant toute la guerre dont 13 000 de 1916 à 1918. Si l’attrition n’est pas comparable en chiffres bruts à celle de l’infanterie, elle est néanmoins relativement importante puisque l’on estime à environ 8 000 le nombre de pertes de l’aéronautique militaire toutes spécialités confondues (pilotes, bombardiers, mitrailleurs, mécaniciens…) pendant la Grande Guerre. René Chambe, un ancien de la MS 12 formée par le commandant de Rose, dira : « De tous les combattants, l’aviateur [a] été le plus tué de la guerre de 1914-1918. » Sous l’effet de ces facteurs matériels, la guerre aérienne s’intensifie donc. Des dizaines d’avions s’affrontent simultanément dans le ciel dans des mêlées inédites. D’ailleurs, les As, tout au moins ceux qui survivent jusqu’en 1918, remportent l’essentiel de leurs victoires cette année-là : 56 sur 75 pour Fonck, 52 sur 73 pour Mannock pourtant tué en combat aérien en juillet 1918, 42 sur 62 pour Udet…
Mais l’apport décisif de l’arme aérienne ne réside sans doute pas dans ces combats aériens aussi iconiques soient-ils, ni dans la création de la division aérienne qui ne s’inscrit pas comme ont pu l’entendre certains historiens dans une dynamique d’autonomisation de l’arme aérienne mais dans la volonté de créer une réserve de combat à la disposition du commandant en chef, au même titre que la création d’un groupe d’armées de réserve au niveau du théâtre d’opérations. La contribution principale de l’aéronautique militaire dans la victoire de 1918 consiste, en effet, dans le concours déterminant que l’aviation a apporté à la connaissance par le maréchal Foch et son état-major des intentions et du dispositif opérationnel allemands qui lui a permis d’une part, de contrer les terribles offensives du printemps et de l’été 1918 et d’autre part, de lancer la série de contre-offensives victorieuses jusqu’à l’armistice du 11 novembre.
La restauration de la surprise sur le théâtre occidental
Cette contribution capitale reste encore aujourd’hui largement méconnue car le généralissime des armées alliées demanda lui-même après l’Armistice, selon le témoignage de son principal artisan, de garder le silence sur les méthodes et les procédés employés. Elle s’inscrit dans le contexte particulier des derniers mois de la guerre de position, dans la courte période pendant laquelle les Allemands disposent de la supériorité numérique terrestre sur les Alliés après l’effondrement du front russe et avant l’entrée en ligne des divisions américaines. Face aux 200 divisions allemandes, les Anglais, les Belges, les Italiens et les Français n’ont à opposer que 170 divisions mais ils disposent de la supériorité aérienne et peuvent compter également sur un nombre supérieur de chars. Pour les commandants en chef alliés, Haig et Pétain, il faut adopter une stratégie d’attente en préparant une « défense élastique en profondeur » jusqu’à l’inversion du rapport de forces qui permettra la reprise de l’offensive. Ludendorff de son côté sait qu’il joue son va-tout. Il doit s’efforcer de mettre rapidement hors de cause les armées anglo-françaises avant que l’effet de l’entrée en guerre des États-Unis se fasse sentir et que les répercussions du blocus maritime imposé aux puissances centrales n’achèvent de démoraliser la population. Il compte employer la surprise qui, jusqu’à cette date, avait été quasiment impossible à obtenir, compte tenu des gigantesques préparatifs logistiques et des longues préparations d’artillerie qui avaient précédé chaque bataille d’ampleur. Les Alliés, eux, estiment toujours que la surprise n’est pas possible du fait de la progression des moyens d’observation terrestres rapprochés et de l’observation aérienne. La reconnaissance aérienne en profondeur à 60 ou 80 kilomètres au-delà du front n’est pas utilisée car elle comporte trop de dangers pour des résultats insuffisants : « La reconnaissance à vue ne donnait rien, la défense ennemie obligeant à la faire à trop haute altitude ; de même, la reconnaissance photographique, parce que, à cette hauteur, elle était trop fragmentaire et de netteté insuffisante ; de même et plus encore, la reconnaissance nocturne parce qu’elle était aveugle. » (1)
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