Le Service du travail obligatoire (STO) occupe une place ambiguë dans l’histoire mémorielle de la Seconde Guerre mondiale. Les Français qui ont travaillé en Allemagne ont eu du mal à se situer, n’étant ni résistants, ni déportés. La reconnaissance de certains droits a été tardive et partielle. La mémoire du STO risque de disparaître très rapidement.
Réfractaires et requis du STO : les exclus du devoir de mémoire
Those who Refused the STO and Those who Could not: the Forgotten Ones
The history of the Second World War remains rather ambiguous about the STO (service du travail obligatoire—compulsory work service). The French who worked in Germany did not know quite where they stood, being neither from the resistance nor among those deported. Recognition of certain rights came late and then was only partial. Remembrance of the STO is very soon likely to disappear.
De septembre 1942 à août 1944, plus de 600 000 Français sont contraints de travailler en Allemagne nazie par les lois vichystes sur le Service du Travail Obligatoire (STO). Paradoxalement, cette « déportation » des travailleurs est reléguée à l’arrière-plan du souvenir dès la Libération, en fort contraste avec l’émotion décisive qu’elle avait causée. Les requis du STO, soupçonnés d’être au mieux des anti-héros malchanceux, au pire des lâches ou des volontaires déguisés, n’ont jamais pu trouver leur place dans la mémoire nationale. Même les 250 000 réfractaires au STO – des rares Français occupés à n’avoir le droit à aucune synthèse scientifique nationale – ne préoccupent que dans la mesure où une minorité d’entre eux a engendré le maquis.
La mémoire du réfractaire au STO se laisse tôt éclipser par celle du réfractaire-maquisard. Le Monument national des maquis de France, inauguré dès le 9 juin 1946 au Mont-Mouchet en Auvergne, ne fait aucune mention du STO dans sa sobre dédicace : « À la Résistance française et aux maquis de France. » Le site est celui d’un gros maquis de mobilisation tardif – et controversé – de mai-juin 1944, peu susceptible de rappeler les premiers maquis nés de la fuite devant le STO. Le Groupement national des réfractaires et maquisards (GNRM) n’a eu qu’une activité restreinte. Dans les années 2000, il dispose tout au plus d’un bulletin semestriel, La Voix du Clandestin, d’un site Internet (www.refractaire-sto.com/) et d’une brève vidéo pédagogique Les Réfractaires au STO. Des hors-la-loi dans la Seconde Guerre mondiale : réalisée par le comité de l’Yonne du GNRM avec le soutien notamment de l’Éducation nationale, elle n’a que 250 souscripteurs en 2004 (1).
La mémoire du GNRM a surtout pour centre de gravité son mémorial privé et très confidentiel, érigé par souscription à Saint-Paterne-Racan (Sarthe). Inauguré le 15 mai 1978, ce monument se situe en plein champ dans un lieu reculé, en bordure de la route nationale de Le Mans à Tours. Il n’est jamais fléché ou indiqué. Annette Wieviorka et Serge Barcellini l’ignorent dans leur recension des lieux de mémoire des années noires (2). L’endroit n’a aucune signification particulière : il s’agit d’un terrain cédé ad hoc par un ancien réfractaire de la commune, Pierre Avril (1922-2003), qui se dévoue jusqu’à sa mort à l’entretien du monument, assumé ensuite par la commune. Le monument porte une inscription simple : « Hommage aux réfractaires et maquisards résistant à l’occupation ennemie 1940-1945. » Une plaque ajoutée devant le monument le 6 juin 1988 exalte – et amalgame – réfractaires et maquisards, au prix d’une reconstruction résistantialiste de leur histoire : tous sont considérés hâtivement comme des combattants ayant répondu à l’appel du 18 juin, sans mention aucune du refus du STO, ou du fait que les maquis-refuge ont tardé à devenir des maquis de combat, a fortiori que les trois-quarts des réfractaires au STO sont restés cachés en ferme ou à domicile… Les cérémonies miment celles des associations d’anciens combattants : porte-drapeaux, déploiement de tricolore, minute de silence, Marseillaise.
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