Blocus du Qatar : l’offensive manquée
Blocus du Qatar : l’offensive manquée
L’échec du blocus du Qatar est bien la preuve que le mythe du combat entre David et Goliath peut prendre les traits du réel. Alors que le lundi 5 juin 2017, le monde était pris de court par l’annonce du blocus du Qatar par le « quartet » (Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Bahreïn et Égypte). Surprise tout d’abord par la violence de cet embargo politique et économique, la communauté internationale a réagi avec scepticisme sur les prétextes avancés par le quartet. Sous couvert d’accusation de supposés liens avec le terrorisme, Riyad et Abu Dhabi souhaitent en réalité faire rentrer le petit émirat gazier dans le rang, trop indépendant à leur goût. Professeur à l’École de Guerre, le général (2S) François Chauvancy revient dans son ouvrage Blocus du Qatar : l’offensive manquée – Guerre de l’information, jeux d’influence, affrontement économique, sur le contexte de ce conflit opposant les monarchies du Golfe mais surtout détaille les manœuvres du quartet, qui ont mené leur offensive sur le front économique et de l’information. Pour l’auteur, « Les nouvelles capacités techniques données à l’influence et à la propagande par Internet, le digital et la place qu’ont pris les réseaux sociaux ont créé un nouveau théâtre d’opérations cette fois dématérialisé mais au même objectif stratégique que dans le passé : permettre à un État de dominer son environnement international. »
Ce qu’on appelait autrefois la propagande prend désormais la forme de campagne massive de désinformation au service de l’influence d’un État dans le débat public, afin de formater l’opinion du simple citoyen au décideur politique. L’auteur rappelle que c’est le piratage informatique de l’agence de presse qatarie QNA et de son compte Twitter qui a mis le feu aux poudres. Le général explique ainsi que « la chronologie et l’enchaînement des faits laissent peu de doute quant à l’origine et l’objectif de la manœuvre. Les médias de la région, notamment des Émirats arabes unis, reprennent immédiatement le faux communiqué qui a agité les réseaux sociaux de la région du Golfe avant que Doha ne le démente ».
Dans cette campagne orchestrée contre le Qatar, les réseaux sociaux ont une action démultiplicatrice amplifiant la rivalité entre le Qatar et ses « frères » du Golfe. Pour le chercheur Marc Jones, le Qatar a subi une vague d’attaques sur les réseaux sociaux menée par des milliers de faux comptes, critiquant l’Émirat pour ses liens avec les Frères musulmans, sa proximité avec l’Iran et son soutien au Hamas. En parallèle, l’auteur rappelle le travail de sape mené par les Émirats arabes unis depuis longtemps aux États-Unis pour influencer think-tanks et décideurs américains, en soulignant l’activisme de l’ambassadeur émirati à Washington, Yousef Al Otaiba. La mise en place du blocus avait un objectif très concret : faire plier le Qatar en asphyxiant son économie. Du fait de sa situation géographique, une presqu’île avec une seule frontière terrestre avec l’Arabie saoudite, le Qatar est donc extrêmement vulnérable à toute action sur ses voies de communication. Le transport aérien a été particulièrement touché, surtout que l’espace aérien qatari est limité et encadré par celui de ses voisins. Au-delà de l’aspect humanitaire dramatique de ce blocus, que plusieurs ONG comme Amnesty International ont souligné, c’est avant tout la survie de l’économie qatarie qui était en jeu.
Or, de nombreux observateurs en concluent aujourd’hui que si l’embargo affecte Doha, cela a aussi un effet positif en accélérant le calendrier des réformes. Pas un mois ne passe sans que l’émirat annonce une nouvelle mesure pour dynamiser son économie, transformant cette crise en opportunité. Pour l’auteur, « il semblerait bien que le “petit” Qatar ait aussi gagné en préservant la qualité de vie au quotidien de ses habitants, en rendant son économie à la fois plus autosuffisante et moins dépendante de l’extérieur ».
En conclusion, le général Chauvancy estime que « cette crise montre enfin la nouvelle manière de faire la guerre : menaces, intimidation, actions économiques y compris avec le sport, et surtout stratégies d’influence ». Une sorte de piège informationnel et économique auquel le Qatar a résisté, mais qui n’annonce rien de bon pour le Moyen-Orient où les tensions ne cessent de croître. Et ce n’est pas la politique étrangère belliqueuse de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis qui vont permettre d’apaiser la région. ♦