Bombarder une ville avec une super-artillerie ou des missiles balistiques constitue un mode d’action utilisé par des États ou des entités en situation d’infériorité tactique. Ce fut le cas de l’Allemagne nazie avec les V2. L’Irak de Saddam Hussein ou les rebelles houthistes au Yémen ont essayé de déstabiliser leurs adversaires, profitant de l’impact psychologique de ces armes.
Des « Canons de Paris » aux « Scud » de Riyad : quels enseignements d’un siècle de « Guerre des villes » ? (2/2)
From Big Bertha to the Scud: Lessons from a Century of Warfare Against Cities?(2/2)
Bombing a city with super guns or ballistic missiles is generally the resort of a state or entity in an inferior tactical position—a case in point being the use of V2 rockets by Nazi Germany. Similarly, Saddam Hussein in Iraq and the Houthi rebels in Yemen each tried to destabilise their adversaries by using the psychological impact of such weapons.
Note préliminaire : la première partie de cet article a été publiée dans la Revue Défense Nationale de janvier 2019.
Résurgences nazies V2 et V3 : armes-miracles ou armes de représailles ?
L’altitude atteinte par les obus des Parisener Kanone reste inégalée jusqu’à une journée sans nuages d’octobre 1942, lorsque le quatrième prototype de la fusée A4 s’élève dans un fracas assourdissant du centre ultra-secret de Peenemünde sur les côtes allemandes de la Baltique pour atteindre les frontières du cosmos à 90 km d’altitude, avant de retomber à 190 km. Pour ses concepteurs, dont le General der Artillerie Walter Dornberger, l’Allemagne tient là le moyen de bombarder impunément l’Angleterre, et à terme l’Amérique. Ils obéissent en cela à un regain d’intérêt pour les armements à longue portée exprimé par Hitler, par l’intermédiaire de son nouveau ministre de l’Armement Albert Speer. C’est que depuis le début des grands bombardements incendiaires britanniques sur les villes allemandes, qui consument à partir du printemps 1942 le centre historique des ports hanséatiques, puis de Cologne et des villes industrielles de la Ruhr, l’Allemagne, dépourvue des bombardiers lourds à longue portée d’une aviation stratégique, a pris conscience de sa vulnérabilité. Mettant un genou à terre devant la Grande-Bretagne alors que le colosse soviétique, aidé du « général Hiver » consume ses ressources matérielles et humaines, elle subit nuit et jour à partir de 1943 les assauts des vagues de bombardiers alliés, sans pouvoir riposter chez ses ennemis. C’est pourquoi elle prête à un autre rêve d’artilleur, une fusée de 14 m et de 13 t emportant une ogive tactique de 750 kg à très longue portée, des vertus stratégiques similaires au « Projet Guillaume » de 1918. Le prototype de la fusée A4 qui entre en production sous le nom de V2 (pour Vergeltungswaffe Zwei, arme de représailles n° 2) alimente bientôt, dans une Allemagne dominée depuis les airs avant d’être menacée sur le continent, le fantasme d’une « arme miracle » (Wunderwaffe) qui ferait plier l’adversaire tout en offrant aux populations bombardées du IIIe Reich la vengeance promise par ses dirigeants.
La fusée V2 reflète une supériorité technologique manifeste, alors inégalée. Développée dans le plus grand secret, elle vise à la fois à produire un choc psychologique et une rupture opérationnelle. Destinée à être produite en masse sur des sites souterrains employant des milliers de travailleurs forcés, elle est tout d’abord conçue pour opérer à partir de lanceurs fixes bétonnés. Mais leur repérage et leur destruction sous des tapis de bombes alliées en 1944 retardent le déploiement, forçant les artilleurs allemands à les lancer depuis des rampes mobiles par douze batteries de missiles à longue portée, qui s’avèrent effectivement insaisissables. Surtout, la vitesse atteinte par les projectiles, même détectés au radar, exclut toute tentative d’interception, tout en ajoutant à l’énergie libérée par la charge explosive à l’impact. À plus de Mach 2, le missile balistique V2 s’abat sur sa cible en silence, précédant le fracas de son explosion. La grande dispersion sur les cibles visées (les capitales britannique et française ou le port d’Anvers, où débarque un flux ininterrompu de matériel militaire), n’est pas gênante pour une arme destinée avant tout à terroriser les populations et partant, à faire pression sur les gouvernements. Comme la « Grosse Bertha » des Parisiens, l’évaluation des frappes sur Londres est obtenue par un réseau d’espions, dont le retournement et la manipulation permettent de leurrer le pointage des V2, épargnant le centre de Londres.
Il reste 79 % de l'article à lire
Plan de l'article