Indicatif « Clochette » - Médecins des BEP et des REP - 70 ans au service des légionnaires parachutistes
Indicatif « Clochette » - Médecins des BEP et des REP - 70 ans au service des légionnaires parachutistes
Ce n’est pas la compagne de Peter Pan qui répond lorsque l’on appelle « Clochette » mais c’est une fée d’un autre métal et capable des plus beaux prodiges : le toubib des BEP puis des REP (Bataillon ou Régiment étranger de parachutistes). C’est un magnifique ouvrage, remarquablement et abondamment illustré que nous offrent le médecin en chef Aigle et son équipe. Il rend un hommage, ô combien mérité, à ces médecins paras-Légion, à leurs auxiliaires et, avec eux, à l’ensemble de ces praticiens qui ont suivi, et suivent encore, nos soldats sur tous les théâtres d’opérations.
C’est le choix des unités légionnaires parachutistes qui va engager et marquer à jamais la vie de ces médecins militaires. Qu’ils aient passé sept mois, comme Jean-Louis Rondy, avec le 1er BEP à Diên Biên Phu puis en captivité, ou douze ans comme Arnaud Le Guen, au 2e REP à Calvi, tous gardent un souvenir ébloui de la Légion, des BEP ou des REP.
Soixante-quatre ans après, leur doyen, le médecin-colonel Rondy, quatre-vingt-douze ans, est plus légionnaire que jamais et c’est lui qui, en portant la main du capitaine Danjou pour Camerone 2018, a incarné l’immense gratitude de la Légion envers ceux qui ont sauvé tant des siens. Ils ont partagé leurs vies, leurs souffrances, leurs combats, toujours aux avant-postes, souvent exposés, parfois blessés et même, hélas, tués en plein exercice de leur mission, comme ce fut le cas du médecin-capitaine de Larré de La Dorie, au Tchad.
Dans une première partie, c’est un vaste panorama qui est dressé des opérations auxquelles ont participé ces unités depuis l’Indochine (1948-1954) jusqu’au Mali (2015), en passant par l’Algérie, le Tchad, Kolwezi, le Liban, l’Afghanistan ou l’ex-Yougoslavie. Les témoignages des toubibs sont particulièrement poignants. Citons celui du médecin-lieutenant Rondy (1er BEP) à Diên Biên Phu, représentatif du travail des « Clochettes » : « Mon souci numéro 1 était de me procurer des médicaments, des pansements et éventuellement un peu de nourriture pour mes blessés et mon personnel. Comme je n’avais pas de gants chirurgicaux, je me passais les mains et les avant-bras à l’alcool iodé avant de mettre mes doigts dans les plaies. Mon matériel chirurgical était bouilli dans des boîtes de ration chauffées sur un réchaud à alcool. Je faisais des champs opératoires avec des morceaux de parachute, eux aussi bouillis dans des boîtes de ration. Un caporal poméranien, cultivateur de son état, faisait les anesthésies intraveineuses au penthotal et mon infirmier-major, calabrais, de son état mécanicien-dentiste, était mon aide-opératoire. Je n’avais pas d’oxygène, ni de moyens de réanimation sophistiqués. Mon scialytique était un phare de voiture branché sur une batterie de véhicule récupérée. Ma table d’opération était un brancard posé sur des caisses d’obus de 155 vides. J’ai procédé comme cela à un bon nombre de désarticulations, essentiellement sur des garrots posés depuis plusieurs heures […] Je me souviens d’avoir vu des amputés de jambe qui se traînaient sur la route de Tuan Giao sur les mains et sur les fesses, escortés par un Bo Doï. J’ignore ce qu’ils sont devenus. »
La citation obtenue par le médecin-capitaine Robert Yout (2e REP), dit Bobby, est significative des actions menées par les toubibs des REP en Algérie, puis dans toutes les opérations qui ont suivi jusqu’à nos jours : « Médecin du régiment, calme et lucide, s’est particulièrement distingué le 12 février 1957 au Djebel Bou Gaffer (secteur de Tébessa). Malgré le feu précis de l’adversaire, s’est porté spontanément auprès des blessés de deux unités du régiment violemment accrochées, leur prodiguant les soins avec sang-froid et compétence, et procédant à leur évacuation dans les meilleures conditions. A ainsi donné une fois de plus la preuve de ses brillantes qualités professionnelles et d’un mépris total du danger. »
Après une description de l’actuel soutien médical du 2e REP et une présentation de l’évolution des effectifs sur soixante-dix ans, vient une partie consacrée aux « Histoires vécues ». Ce sont une succession d’anecdotes émouvantes, parfois poignantes, souvent drôles, vécues par les médecins d’active ou les aspirants (seuls appelés du régiment mais parfaitement intégrés à la « mafia » des lieutenants). On y retrouve les visites du BMC (bordel militaire de campagne), les paris stupides, les « anales » du GR 20, le parpaing, les capsules dentelées, la chute libre du légionnaire Farina, la prothèse de Sarajevo, le footing du médecin Morcillo ou l’assignation à résidence, en guise de voyage de noces, apportée par un motard au médecin-capitaine Saüt au sortir de sa messe de mariage, le 30 avril 1961, quelques jours après le putsch auquel il est soupçonné d’être favorable. Une photo improbable vient illustrer la scène !
Cet ouvrage n’oublie pas pour autant les auxiliaires de ces médecins, sous-officiers, caporaux ou légionnaires qui ont souvent payé de leur vie les secours à leurs camarades. Le plus récent, dont le portrait orne la dernière page, est le sergent Rodolphe Penon, mort pour la France dans la vallée d’Uzbin (Afghanistan) en portant secours à un blessé du 8e RPIMa. C’est un très beau livre, dont le style clair et précis rend la lecture agréable et instructive. Les légionnaires, qu’ils soient anciens ou d’active, le liront avec plaisir, tout comme les membres du Service de santé des Armées, chacun y trouvant matière à se souvenir, s’enrichir et réfléchir.
Concluons par un extrait de l’allocution du commandant (R) Oudinot, président du Club « des chefs de section parachutiste au feu », lors de l’admission des médecins Saüt et Thibult : « […] Parce que dans les bouquins, on ne parle pour ainsi dire jamais de ceux qui, sur le tas, essayent de “mettre des rustines”, ceux que j’appellerai, par analogie aux armes dites “de mêlée”, les “médecins de mêlée”. Aussi soldats que médecins, ils ont servi sous le feu tout au long des combats livrés au quotidien par nos bataillons et cela pendant des mois et des années. Ils furent de toutes les équipées […] Partout comme la piétaille, les rangers dans la bouillasse ou les pataugas dans la caillasse, ils ont pansé les plaies, sauvé des vies en courant les mêmes risques qu’un voltigeur de pointe ou qu’un chef de section […] ». ♦