Fleet Tactics and Naval Operations
Fleet Tactics and Naval Operations
Un grand classique revisité. Ce terme n’est pas usurpé tant la somme de tactique navale du capitaine de vaisseau Wayne P. Hughes fait référence depuis 1986 – année de sa première édition – dans la marine américaine et plus généralement dans l’ensemble des marines occidentales.
Pour cette troisième édition rebaptisée Fleet Tactics and Naval Operations, l’auteur prolifique s’associe cette fois au contre-amiral Girrier pour actualiser son traité à l’aune des changements technologiques et géopolitiques qui caractérisent le nouveau siècle qui s’ouvre. Là où la deuxième édition de Fleet Tactics, parue en 1999, prenait acte de l’absence de peer competitor pour l’US Navy, de l’avènement du rôle du missile de croisière et de la centralité de la mission de projection de puissance en environnement littoral, ce nouveau millésime étudie vingt ans plus tard l’impact de la nouvelle donne de notre temps sur la guerre navale. Quels en sont les déterminants ?
Tout d’abord, l’entrée irréversible dans l’âge de l’information, cette dernière étant devenue l’objet même du combat. Pour Wayne P. Hughes, cette mutation s’accompagne d’un glissement symptomatique de la recherche de la supériorité informationnelle vers la recherche de la supériorité décisionnelle. Les coauteurs développent ainsi dans un nouveau chapitre intitulé « A Twenty-First-Century Revolution » les incidences tactiques de l’Information Warfare dans le domaine naval, sans d’ailleurs se restreindre pour autant au seul milieu maritime, l’espace et le cyberespace étant systématiquement pris en compte dans leurs rapports au combat naval.
Ensuite, la place prépondérante de l’environnement littoral comme lieu du combat naval, au point que les auteurs considèrent que le terme de littoral tactics est désormais plus pertinent que celui de naval tactics. Partant du postulat que les batailles de demain se dérouleront très probablement dans des culs-de-sac maritimes (Baltique, golfe Persique, mer de Chine du Sud) congestionnés, cette nouvelle édition examine comment les grands principes de la guerre sur mer – au premier rang desquels figure le primat de l’offensive – se déclinent en procédés dans ces « sea-land battles that include warships ». Le fameux concept de létalité distribuée, en pointe dans l’US Navy, est l’un de ces procédés.
À ces deux facteurs s’ajoute enfin un catalyseur géopolitique, celui du retour des compétiteurs étatiques aux ambitions maritimes, faisant dire à l’amiral Richardson (chef d’état-major de la marine américaine) dans sa préface à l’ouvrage que « the sea control game is back on, and we need to get moving, and new tactics will lead the way ». Sur ce point, un des mérites de Hughes est d’ailleurs de montrer comment l’US Navy aurait intérêt dans certains cas à pratiquer non pas le sea control mais plutôt le sea denial, en premier lieu face au rival chinois, bien plus sensible à ses flux maritimes que ne l’était l’ancien adversaire soviétique.
Mais au-delà de cette mise à jour, Fleet Tactics conserve, pour le plus grand plaisir du lecteur, la solide charpente théorique qui fait toute sa valeur. On y retrouve la lumineuse mise en perspective historique des mutations de la tactique navale à travers les ères successives de la marine à voile, du canon, de l’avion et du missile. L’influence mutuelle entre tactique et technologie, si prononcée dans le milieu naval, y est parfaitement restituée. Au fil des chapitres, les constantes et les tendances de la guerre sur mer sont caractérisées et reliées entre elles, laissant au lecteur une agréable sensation de clarté malgré l’entrelacement des concepts. En point d’orgue, on retrouve le récit d’anticipation de la bataille de la mer Égée, sorte de parabole conclusive qui vient magistralement illustrer les principes évoqués au long de l’ouvrage, tout en donnant un éclairage sur la guerre probable en environnement littoral.
Cette troisième édition arrive donc à point nommé pour réarticuler les principes et les procédés de la guerre sur mer alors que la fenêtre de l’après guerre froide, celle de la domination tranquille de l’US Navy, s’est refermée. À l’heure de la superposition de l’ère de l’information et de l’ère du missile (qui depuis les années 1960 ne s’est pas refermée), la sentence des auteurs est claire : « modern naval battle will be fast, destructive, and decisive. More often than not the result will be decided before the first shot is fired ». Un seul regret toutefois : que cet ouvrage n’ait encore jamais été traduit en français. Incontestablement, un manque regrettable pour les officiers de la seconde marine occidentale. ♦