La Chaire Grands enjeux stratégiques contemporains a été consacrée principalement à l’Europe et à sa défense dans un contexte compliqué et aggravé par le processus chaotique du Brexit. L’Union européenne est de fait à un tournant existentiel, obligeant celle-ci à mieux s’affirmer sur le plan stratégique.
Préambule - L’affirmation stratégique des Européens
Preamble – The Strategic Assertion of Europeans
Debate on major contemporary strategic challenges has been focusing mainly on Europe and its defence in an already complicated state of affairs, aggravated by the chaotic process of Brexit. The European Union is in fact at a turning point in its existence, which means it needs to be more assertive on a strategic level.
Lors de la conférence inaugurale du cycle de la Chaire Grands enjeux stratégiques contemporains consacré cette année à l’affirmation stratégique des Européens, Michel Barnier, faisait observer : « Le Brexit, n’a pas de valeur ajoutée, ni pour le Royaume-Uni ni pour l’Europe. C’est une négociation négative. » À ce constat désabusé, il ajoutait une note d’optimisme : « Voilà qui nous rend plus lucides et doit nous rendre aussi plus volontaristes. Le seul avantage de cette épreuve, c’est l’unité construite et maintenue des 27 face aux revendications britanniques dans la négociation. Cette unité doit être mise au service d’un agenda positif pour l’Union. »
La suite des événements est plutôt venue confirmer le caractère toxique du Brexit. Les effets salutaires pour l’unité européenne de ce difficile divorce se font toujours attendre. La solidarité européenne a tout d’abord failli se fissurer sur la clause, pourtant essentielle, du Backstop, puis sur le calendrier de retrait finalement reporté en octobre après les élections européennes. Même si la cohésion des Européens, vaille que vaille, a bien été maintenue jusqu’ici, les incohérences britanniques ont fini par contaminer le processus de négociation. Comme souvent, à la clarté de positions assumées, les dirigeants européens dans leur majorité ont préféré donner du temps au temps et ménager l’ambiguïté. C’est d’ailleurs ainsi, inexorablement, que depuis dix ans l’Europe se fait et se défait sous nos yeux.
Entre le 21 janvier et le 1er avril 2019, notre cycle annuel de conférences aura été marqué par les aléas du Brexit et la dégradation du climat politique européen sur fond d’instabilité des coalitions au pouvoir dans les principales capitales de l’Union. Difficile d’écrire l’histoire immédiate quand la brume de l’actualité n’est pas encore dissipée ; a fortiori, lorsqu’elle s’épaissit.
Au lendemain d’élections qui ont significativement modifié la composition du Parlement et vont conduire au changement complet de la Commission en novembre prochain, l’avenir de l’Union européenne est en effet toujours aussi incertain. L’horloge détraquée qui décompte les jours nous séparant du Brexit sera-t-elle convenablement réglée, ensuite, sur une heure commune aux États-membres ou verra-t-on chacun ne lire midi qu’à sa porte ? Et, si le Royaume-Uni, préférant le statu quo, finalement ne partait pas, l’unité européenne s’en trouverait-elle plus, ou moins affectée ?
Une chose est certaine, minée par ses divisions, l’Union européenne est à la fois fragilisée et vulnérable. Jamais, face à l’adversité ou pour défendre leurs intérêts dans le monde, les Européens n’avaient été à ce point confrontés à la nécessité d’agir collectivement comme un acteur stratégique à part entière.
Les conférences, reprises sous forme d’articles, dans ce numéro de la Revue Défense Nationale, s’accordent toutes sur le constat que l’Union européenne est à un tournant existentiel. Son futur est notamment conditionné par sa capacité à relever les défis de sa défense et de sa sécurité. Tous les intervenants saluent d’ailleurs les initiatives récentes en faveur de la défense européenne, en particulier au plan capacitaire et industriel. À cet égard, le Fonds européen de défense, s’il est correctement budgété et géré, change positivement la donne. Il doit permettre en particulier de financer des investissements militaires d’avenir, comme ceux indispensables en matière d’intelligence artificielle, domaine constituant la seconde thématique de notre cycle 2019.
En revanche, et cela est perceptible dans les positions des intervenants étrangers, Bastian Giegerich, Ivan Krasstev, Marcin Terlibowski, Asle Toje ou Jeremy Shapiro, le projet de défense européenne apparaît toujours aussi imprécis dans son calendrier de réalisation à court comme à moyen termes et surtout dans ses ambitions de long terme. La défense européenne reste un objet mal identifié. La plupart des intervenants consciemment ou inconsciemment se refuse d’ailleurs à lui donner à la fois une tête et un corps : soit ils ne s’intéressent qu’au chantier politique, qu’ils tiennent généralement pour une gageure, soit ils ne traitent que des actions concrètes, généralement pour les trouver insuffisantes. Du côté français, ce qui frappe c’est l’écart de plus en plus évident entre volontarisme et prudence. Le doute s’est installé. Et si notre militantisme en faveur de la défense européenne non seulement desservait cette cause mais aussi nos intérêts nationaux ?
Toutes les contributions, explicitement ou implicitement, mettent en évidence combien la politique de sécurité et de défense de l’Union européenne a besoin d’un calendrier et d’une feuille de route pour les prochaines années. Ce sont des outils indispensables si l’on veut parvenir à prioriser de façon cohérente des éléments de doctrine qui font aujourd’hui défaut, des projets qui s’accumulent de façon anarchique, des missions qui manquent de clarté et des moyens collectivement mal rationalisés, surabondants pour certaines fonctions et notoirement déficients pour d’autres. L’affirmation stratégique des Européens vise à plus d’autonomie mais passe à coup sûr par davantage de cohérence. ♦