Le risque cyber est une réalité, se déclinant en de multiples manières de déstabiliser des entités diverses. Toutefois, si le pouvoir de nuisance est effectif, le cyber ne peut pas être comparé à la puissance destructrice de l’atome. Il convient donc de ne pas mélanger les concepts et de ne pas faire du cyber une arme de dissuasion.
Le mythe du « pouvoir égalisateur du cyber »
The Myth of the ‘Equalising Power’ of Cyber Warfare
Cyber-related risks are well and truly with us and are manifested in many ways able to destabilise highly diverse types of organisation. Nevertheless, whilst their disruptive power is effective, cyber attacks cannot be compared with the destructive power of the atom. We should therefore be careful not to confuse these concepts or turn cyber warfare into a weapon of deterrence.
Domaine possédant sa propre Revue stratégique (février 2018), le cyber nous impose de repenser notre manière de faire la guerre et de la concevoir, dans un monde où l’importance d’Internet et des objets connectés croît de manière exponentielle. Le cyberespace, ensemble des objets ou personnes connectés et interconnectables numériquement, est un nouveau lieu de conflictualité. Le cyber – nouvelle révolution technologique – porte en son essence son ambivalence : outil d’échange et de partage mais également menace pour la puissance et la souveraineté étatiques. Fantasmé jusqu’au « cyber Armageddon », le cyber a été comparé à une arme de destruction massive (1) permettant une resymétrisation des relations internationales, par transposition de l’expression du général Gallois (2) évoquant un « pouvoir égalisateur du cyber » (3).
Si séduisante généalogiquement que puisse être cette expression, en s’inscrivant dans la continuité de la pensée atomique, il faut se garder de reproduire d’anciens schémas de pensée en les appliquant à un domaine nouveau. Le cyber pose-t-il réellement de façon renouvelée le problème classique de la conflictualité ? Est-il légitime de transposer cet axiome du pouvoir égalisateur de l’atome au cyber ? Conséquemment, la nouveauté du cyber ne doit-elle pas nous mettre en garde de comparer le présent avec le passé (4) ? Le cyber est bien une sphère transverse et transcendante, pénétrant tous les autres espaces de la conflictualité, plutôt qu’une arme capable d’effacer l’asymétrie. Or, s’il n’y a pas de pouvoir égalisateur du cyber, ce « mythe », en tant que représentation idéalisée, possède un intérêt heuristique dans la prospective et comme référentiel. Le cyber apparaît alors comme un pouvoir « challenger » c’est-à-dire une capacité à réduire les écarts de puissance.
L’illusion égalisatrice
Le « principe égalisateur de l’atome » rend compte de l’avènement d’une nouvelle arme dont la puissance destructrice apparaît inégalée. L’arme nucléaire possède un caractère disruptif et apparaît particulièrement intéressante dans un calcul coût/bénéfice (5), bien qu’elle soit devenue une arme de non-emploi au regard de l’impossibilité psychologique d’une initiative nucléaire par le politique en dessous de ce que le général Poirier a défini comme un « seuil d’agressivité critique » (6). En dessous de ce seuil nucléaire se développe un équilibre de Nash où chaque État n’a pas intérêt à rompre l’équilibre, au risque sinon de s’exposer radicalement (7). L’absoluité de l’arme nucléaire lui confère sa dimension dissuasive en rendant le calcul coût/bénéfice quasi irrationnel à moins d’un danger existentiel (loi de l’espérance politico-stratégique). Les forces conventionnelles permettent alors de répondre à de moindres menaces (8) ce qui assure une capacité de riposte adaptée et une maîtrise de la montée aux extrêmes en restant sous le seuil nucléaire. Cette dissuasion repose sur l’effectivité de la détention de l’arme, le ressort psychologique induit par le risque de son utilisation autant que sur la publicité qui l’entoure (doctrines, essais, démonstrations). Ainsi, le but du général Gallois était de démontrer que cette arme a la capacité, au regard de son pouvoir dissuasif et destructeur, de hisser le pays au même niveau que les plus grandes puissances, sans devoir les égaler au plan capacitaire. L’égalisation tient à la remise en cause ou la négation d’un avantage acquis précédemment, comprise dans une logique du faible au fort. Le pouvoir égalisateur de l’atome est donc synonyme de sauvegarde stratégique, d’autonomie et de liberté d’action. Cependant, cette théorie est-elle encore pertinente dans un monde proliférant, multipolaire, et surtout peut-elle s’appliquer au cyber ?
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