Atlas militaire et stratégique
Atlas militaire et stratégique
La Fondation pour la recherche stratégique (FRS) a publié, au mois de mars, sous la coordination de Bruno Tertrais, directeur-adjoint, un excellent Atlas militaire et stratégique, qui, en moins de cent pages, apporte un flot de connaissances et d’analyses remarquablement illustré par une cartographie complète réalisée par Hugues Piolet ainsi que par des tableaux comparatifs.
Cet ouvrage est organisé, outre l’introduction, la conclusion et les annexes, en quatre chapitres permettant de couvrir cette thématique devenue aujourd’hui cruciale dans un monde à nouveau en déséquilibre stratégique et qui se transforme en un puzzle géopolitique où les États-puissance veulent imposer leur loi et considèrent que le rapport de force est désormais à la base de tout dialogue. À savoir la stratégie, principes et moyens, les grands acteurs, les crises et les tensions, et enfin l’avenir de la guerre.
D’où l’importance d’un tel travail qui permet de mieux décrypter ces enjeux, de les comprendre et in fine d’essayer d’y répondre. Son approche pédagogique est d’ailleurs très pertinente en donnant dans un premier temps les clés de compréhension de ce qu’est la stratégie et quels en sont les moyens en particulier militaires aujourd’hui disponibles. Il est en effet indispensable d’en connaître à la fois le vocabulaire et la grammaire, d’autant plus que ceux-ci sont souvent dévoyés dans le langage courant, notamment lorsque l’on parle « business ». Cela permet de comprendre les fondamentaux liés à la guerre, même si les formes de celle-ci ne cessent de muter et de se développer dans de nouveaux espaces comme le cyber, avec la désinformation devenue une arme à part entière.
La lecture de cet atlas permet ainsi de visualiser les grands enjeux qui menacent de ce fait la stabilité mondiale avec la fin de la bipolarité et la montée en puissance de nouveaux acteurs se dotant de capacités crédibles pour pouvoir peser sur la scène internationale comme la Chine utilisant le soft power des nouvelles Routes de la Soie pour se constituer une clientèle d’États dociles, ou la Russie voulant effacer l’humiliation de l’éclatement de l’URSS. On peut ici regretter l’absence d’une page sur l’Inde qui certes reste une puissance régionale mais dans une zone d’intérêt majeur si l’on se réfère à l’Indo-Pacifique, à la convergence des fractures asiatiques.
Le chapitre consacré aux crises et tensions montre la croisée des temps. Les temps longs issus d’histoires complexes marqués de rivalités ancestrales comme la question du sunnisme et du chiisme ou encore des civilisations arabes et persanes mais aussi les temps courts en particulier ceux du terrorisme islamiste ou du crime organisé avide de gains immédiats notamment avec la traite de migrants. C’est ainsi le cas pour le Sahel où toutes ces dimensions se superposent pour s’inscrire dans la durée, d’autant plus que la gouvernance des États y reste très fragile comme au Mali. C’est également le cas en Afrique centrale où la prédation des ressources minières accentue la désorganisation de régions entières où les États ne sont quasiment plus présents.
Une nouvelle zone crisogène est apparue d’ailleurs assez récemment, liée au réchauffement climatique avec l’Arctique qui devient un terrain de rivalités entre les États comme la Russie, le Canada et les États-Unis – pays riverains – mais aussi la Chine qui veut pouvoir accéder à cette région aux nombreuses potentialités économiques dont les ressources en hydrocarbures du sous-sol marin mais à la fragilité environnementale majeure.
La question du réchauffement climatique méritera de futurs travaux pour bien en mesurer les impacts sur la sécurité avec comme corollaire la délicate dimension migratoire principalement dans le sens Sud-Nord.
Il ressort cependant un fait qui peut paraître rassurant : la diminution sensible du risque de conflit majeur entre grandes puissances, la dissuasion nucléaire aidant. Toutefois, cela n’exclut pas des frottements et des tensions dans des régions à risque comme la mer de Chine. Si le spectre de la guerre totale semble s’être éloigné, la conflictualité reste une évidence stratégique en particulier au Sahel et au Levant, avec des conflits dits « mineurs », essentiellement des guerres civiles alimentées par les interférences de nombreux acteurs ayant leurs ambitions propres et des intérêts divergents comme Daech et d’autres groupes islamistes terroristes. De plus, de nouvelles formes de guerre hybride accroissent le champ des incertitudes, fragilisant des équilibres internationaux laborieusement établis.
Cet atlas est donc indispensable et constitue un outil remarquable facilement utilisable pour tous ceux qui s’intéressent non seulement aux questions de défense mais aussi aux relations internationales sous l’angle de la sécurité. Il démontre également la qualité des travaux conduits par la FRS avec des produits contribuant à l’analyse géopolitique absolument nécessaire pour pouvoir répondre aux défis stratégiques d’aujourd’hui et de demain. ♦