Journaliste embarquée avec les taliban, l’auteur livre un témoignage précieux sur la difficulté de son travail sur le terrain. La guerre passe aussi par la bataille des perceptions avec des enjeux très différents en fonction des acteurs concernés. Cela exige une connaissance approfondie des réalités du pays concerné.
Embarquée avec les taliban : la mise en forme du discours journalistique
On Board with the Taliban: the Phraseology of the Journalist
The author, who was a journalist alongside the Taliban, gives a valuable account of the difficulty of her work in the field. War also involves the battle of perception, the stakes being very different depending on the players concerned. That in turn requires deep insight of the realities of the country involved.
Sur les théâtres d’opérations, militaires et journalistes se croisent sans pour autant toujours se comprendre. Comment leurs paroles et discours entrent-ils en résonance ? Comment la mise en forme du discours journalistique vient-elle enrichir ou contredire parfois des prises de paroles militaires ? Pour aborder ces questions, Claire Billet évoque les conditions d’accomplissement d’un reportage aux côtés d’un groupe de taliban du Wardak en Afghanistan. Diffusées la première fois le 12 septembre 2008 sur la chaîne France 24, les images présentent les combattants du commandant Abu Tayeb lançant une attaque meurtrière contre les forces de police afghanes. Réalisées avec Tahir Luddin, ces images figurent parmi les rares présentant ces opposants armés au régime de Kaboul à l’entraînement, dans leur vie quotidienne puis au combat. Ce travail illustre toute la difficulté de rendre compte d’un conflit où les belligérants font de la communication une arme de combat.
Connaissiez-vous bien l’Afghanistan au moment de la réalisation de ce reportage ?
À cette époque, j’étais correspondante de presse. J’ai vécu un an au Pakistan et cinq ans en Afghanistan pour couvrir les deux pays. Je réalisais des reportages sur l’actualité et la plupart du temps les rédactions m’appelaient quand elles avaient besoin d’une information ou d’une réaction. J’allais énormément sur le terrain. Je voyageais dans le pays et proposais des reportages qui apportaient un éclairage nouveau sur les événements.
Pourquoi souhaitiez-vous rencontrer les taliban et les accompagner au combat ?
Je venais juste de sortir de l’école de journalisme. La liberté d’information et la neutralité étaient des notions importantes. Quand on couvre un conflit, il est nécessaire d’aller voir les civils et d’aller au contact de tous les belligérants. Il fallait être embarquée (embedded) avec les forces armées sur place : les Afghans, les Américains, les Français, mais aussi les taliban. C’était une évidence. En 2006, je suis partie avec deux collègues occidentaux dans la province de Ghazni. C’était un peu frustrant. Je trouvais qu’il n’y avait pas grand-chose à se mettre sous la dent. En 2007, je suis allée au contact des taliban une deuxième fois. Cette fois-ci, j’étais seule avec Tahir Luddin, mon traducteur. Nous sommes allés dans le Wardak qui est une province frontalière de Kaboul. C’était une zone de combat très disputée déjà à l’époque de la guerre contre les Soviétiques. J’ai commencé à voir le rapport que les taliban entretenaient avec la population. Au-delà de leurs discours de propagande, j’ai essayé de percevoir leur environnement et leurs réactions par rapport à moi. J’ai demandé à leur chef, le commandant Abu Tayeb, de les accompagner pour les filmer au combat. Au début, il a répondu non. Comme j’insistais, la demande a été transférée à la hiérarchie talibane. Le temps que la décision soit prise et que la réponse me parvienne, nous étions à l’été 2008. L’autorisation de filmer, qui m’a prise par surprise, est arrivée au moment de l’embuscade d’Uzbeen.
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