Hitler et la mer
Hitler et la mer
L’historien de marine, F.-E. Brézet, a déjà produit des travaux passionnants et de références sur la marine de guerre allemande durant les deux guerres mondiales. La question récurrente était comment un État récent dont l’unification ne datait que de 1871, et dont l’essentiel de sa géographie était continental, pu conduire une politique navale ambitieuse, mais au final ayant échoué. Ce fut le cas de la marine de Guillaume II dont l’intérêt pour les questions maritimes a été évident et il en fut de même pour le IIIe Reich avec une différence majeure, le peu d’attrait d’Adolf Hitler pour la mer qu’il percevait comme « unheimlich », c’est-à-dire hostile.
C’est l’objectif de ce dernier ouvrage consacré à Hitler et sa marine, et aux relations ambiguës que le Führer a entretenues avec la Kriegsmarine et un milieu géographique – l’océan – qu’il appréhendait.
Il est un fait qu’Hitler est essentiellement un homme du continent. Sa perception de la géographie lui a d’ailleurs toujours fait préférer le sud de l’Allemagne et les Alpes. Ce n’est pas un hasard si l’Autrichien de naissance qu’il était a fait construire son refuge à l’Obersalzberg dans les montagnes du Tyrol. Sa vision géopolitique définie dans Mein Kampf, publié en 1925, est essentiellement continentale avec un ennemi héréditaire, la France, un empire à contrôler puis à vaincre sur le plan idéologique, l’URSS et une Grande-Bretagne dont il faudrait préserver la neutralité bienveillante, ce qui fut d’ailleurs le cas dans les premières années du IIIe Reich, le chancelier sachant manœuvrer assez habilement vis-à-vis de Londres.
C’est d’ailleurs un des aspects passionnants du livre où l’auteur démontre que la diplomatie fut très active quasiment jusqu’à la guerre totale à partir de 1942. Ainsi, lorsqu’Hitler arrive au pouvoir en 1933, son objectif est de reconstruire la puissance militaire allemande, très diminuée depuis le Traité de Versailles en 1919, mais en respectant initialement le cadre politique international.
De plus, la Kriegsmarine, de par son rôle réduit en 1914-1918 et des mutineries communistes en 1918-1919, était très marginalisée dans le système militaire allemand avec peu de moyens et des bateaux limités en tonnage suite aux contraintes imposées à l’Allemagne vaincue. Le Traité de Washington de 1922 avait exclu Berlin et tout
l’enjeu pour le Reich fut d’obtenir un accord naval avec Londres lui permettant de desserrer cet étau et ainsi de reconstruire la marine. Ici, il faut souligner le rôle majeur du grand-amiral Erich Raeder (1876-1960) qui va en être le chef jusqu’au 30 janvier 1943 et qui va essayer d’influencer Hitler avec plus ou moins de succès.
Le paradoxe relevé par F.-E. Brézet est que, si Hitler connaît en détail les navires dont ceux des adversaires de l’Allemagne – surprenant ainsi ses amiraux – il n’a pas de vraie doctrine navale, raisonnant encore sur des schémas classiques de batailles navales entre escadres. Et de ce fait, toute la guerre sera marquée par cette incapacité allemande à construire une véritable stratégie navale globale, alternant entre projection de force, actions individuelles et guerre sous-marine.
La perte du Bismarck le 27 mai 1941 marque un tournant dramatique pour le Reich et montre que le temps des cuirassés est révolu d’autant plus que les Alliés vont progressivement reprendre l’avantage dès 1942 notamment en mer. Il est ici important de voir que Berlin s’est beaucoup illusionné sur ses capacités navales, même si Raeder a été vite conscient des limites de sa marine, d’autant plus que le déclenchement de la guerre dès 1939 a empêché l’aboutissement des grands programmes dont celui des porte-avions avec le Graf Zeppelin, pourtant réalisé à 95 % en 1943 et au final jamais achevé. De plus, les priorités industrielles ont été données à la Wehrmacht et la Luftwaffe, sans parler du manque de personnels qualifiés tant pour les chantiers navals que pour armer les bâtiments, dont les sous-marins.
Les sous-marins ont constitué l’outil privilégié de Karl Dönitz (1891-1980) qui succède à Raeder, épuisé par ses années à la tête de la Kriegsmarine et plus ou moins désavoué par le Führer. L’auteur souligne à la fois le professionnalisme de Dönitz, mais aussi son aveuglement face à Hitler et donc son fanatisme. Et ce n’est pas un hasard si, dans l’agonie du Reich, il succède quelques semaines au Führer.
L’échec de la Kriegsmarine est celui d’Hitler avec cette incapacité à comprendre les enjeux d’une stratégie navale crédible. Mais il apparaît clairement que dès le départ, le IIIe Reich ne pouvait prétendre rivaliser avec les thalassocraties britanniques et américaines. Il manquait à Hitler et aux chefs militaires allemands l’entourant – à l’exception des marins – cette culture maritime essentielle. On ne transforme pas en quelques années une puissance continentale en un peuple de marins. ♦