Synthèse des travaux
Les débats sur la sécurité en Méditerranée ont fait apparaître le haut degré de tension qui caractérise cette zone tant sur mer que dans les pays du bassin. La multiplication des conflits est une constante de l’histoire et de la période actuelle. Toutefois, la situation revêt aujourd’hui des aspects d’une extrême complexité, liés aux mutations qui ont pu affecter les États riverains, les rapports qu’ils entretiennent entre eux et les relations avec la problématique internationale dans son ensemble.
Des différents rapports, communications et débats, s’est donc dégagée l’idée que la question de la sécurité et de la paix en Méditerranée se caractérisait essentiellement par un certain nombre de contradictions.
1re contradiction : L’approche de la sécurité en Méditerranée doit-elle être locale ou globale ?
Cette question prend aujourd’hui une dimension particulière dans la mesure où les facteurs de conflits de cette zone tendent de plus en plus à la déborder. Il est par ailleurs frappant de constater qu’une dialectique permanente s’établit entre les deux termes de cette alternative, car l’approche strictement méditerranéenne met en évidence les oppositions planétaires. Mais, simultanément, ces dernières rétroagissent sur les conflits méditerranéens soit pour les provoquer, soit pour les aggraver.
2e contradiction : La sécurité en Méditerranée doit-elle reposer sur l’action des Grands ou sur une action plus globale comme celle des Nations unies par exemple ?
La Méditerranée présente des spécificités qui la rendent difficilement préhensible par les instruments du droit international. C’est ainsi que le nouveau droit de la mer ne change rien à la liberté de navigation et de manœuvres aéronavales. Même le quadrillage de la Méditerranée en zones économiques ne pourrait empêcher les forces navales qui y stationnent de s’y répandre. C’est donc par un règlement politique seulement que pourrait être envisagée la mise à l’écart des grandes forces navales extérieures aux pays méditerranéens.
Par ailleurs, cette contradiction se complique par l’opposition de la bipolarité et de la multipolarité qu’elle recèle. En effet, si les grandes puissances sont souvent impliquées dans certains conflits du bassin méditerranéen, d’autres se développent indépendamment de leur intervention. La neutralisation réciproque des superpuissances nucléaires en Méditerranée favorise l’éclosion de conflits entre puissances secondaires, dans la mesure où elle rend plus difficile l’action de police des Grands.
3e contradiction : C’est celle qui se marque dans l’ambiguïté entre le statut de force de mer et de force de terre en Méditerranée
Les flottes stationnant en Méditerranée n’ont pas un rôle principalement maritime. La VIe Flotte américaine est un point d’appui pour le flanc sud de l’Alliance atlantique. L’escadre soviétique a pour rôle de gêner cette mission, notamment dans la perspective de bataille terrestre. De manière plus générale, les flottes des superpuissances ont un rôle d’action psychologique sur l’opinion publique qu’il faut rassurer pour l’une, terroriser pour l’autre. L’Otan, à cet égard, apparaît comme le seul système de sécurité organisé mettant en cause une partie des pays riverains de la Méditerranée et s’articulant sur une stratégie d’alliance cohérente.
4e contradiction : Le passé et le présent se contredisent en Méditerranée
En d’autres termes, le présent méditerranéen est plus que partout ailleurs empreint des problématiques du passé alors qu’il devrait intégrer celles du futur.
Ceci se marque :
– du point de vue des stratégies, beaucoup soutiennent que les stratégies actuellement développées en Méditerranée sont conçues en fonction des données géopolitiques et techniques du passé, et non en fonction de celles d’une prospective qui est déjà présente ;
– du point de vue des techniques de négociation, le cadre de négociation méditerranéenne demeure traditionnel, c’est-à-dire qu’il n’a pas d’existence spécifique ; les pays riverains n’ont pas à leur disposition un cadre institutionnel qui les implique et qui n’implique qu’eux ; l’Otan, de ce point de vue, ne peut fournir un cadre satisfaisant qu’en ce qui concerne l’arc nord de la Méditerranée ; on note toutefois que la Communauté économique européenne (CEE) s’attache, depuis 1974, à se dégager de cette anomalie ; elle a fait cet effort dans sa définition d’une politique globale pour la Méditerranée, dans laquelle elle tente de conduire des négociations bilatérales entre elle et des partenaires collectifs tels que le Maghreb, le Machrek ou les États arabes ; cette stratégie tend de surcroît à ouvrir la Méditerranée sur le Tiers-Monde grâce à la coopération avec les pays ACP sur lesquels s’appuie la politique méditerranéenne de la CEE.
5e contradiction : C’est celle entre la Paix et le Développement
Les voies de la sécurité en Méditerranée passent manifestement par le développement. À cet égard, il est caractéristique de remarquer que la Méditerranée se trouve à l’intersection de deux axes d’affrontement : l’axe Est-Ouest, qui est marqué en priorité par des tensions stratégiques, et l’axe Nord-Sud qui polarise avant tout un conflit de développement.
Cette position indique clairement la vocation de la Méditerranée à la coopération. Celle-ci peut trouver un nouveau champ d’expansion dans les cadres que vont dessiner les nouvelles données du droit de la mer. Il convient toutefois d’être particulièrement conscient du fait que ce nouveau droit peut être générateur de nouveaux conflits. En effet, s’il débouche sur un quadrillage de la Méditerranée en zones économiques, il tendra à prolonger sur la mer les conflits déjà existants entre États. Le labourage de la Méditerranée par de nouvelles frontières est lourd de tensions nouvelles, comme le montrent les différends déjà apparus, qui ont appelé la mise en place de stratégies et de tactiques armées.
En conclusion, il apparaît évident tout d’abord qu’un règlement global en Méditerranée n’est pas à l’ordre du jour. L’histoire a montré que la paix de la Méditerranée ne peut être totale, et c’est donc avec la plus grande modestie qu’il convient d’aborder les problèmes de résolution pacifique des conflits méditerranéens. Ainsi, la place des techniques spécifiques de paix, telles que la médiation ou les bons offices, restera privilégiée. La Méditerranée est un monde de négociations continues, et les intermédiaires – qu’ils séparent ou qu’ils rapprochent – y sont une pièce capitale de la sécurité. L’exemple le prouve de l’action des Nations unies qui s’est, pour l’essentiel, développée dans des conflits méditerranéens.
Par ailleurs, la sécurité peut également être favorisée par des négociations globales portant sur des questions qui peuvent y concourir. La coopération entre les Méditerranéens dans des domaines comme celui des transports, de l’environnement, de la sécurité des approvisionnements, ne peut que contribuer à favoriser des règlements politiques et stratégiques.
À cet égard, une convention générale sur le libre passage en Méditerranée pourrait aider à prévenir les conflits que laissent présager les nouvelles règles portant sur le partage des richesses de la mer. ♦