Depuis plusieurs mois déjà, l'Irak et l'Iran sont aux prises en un combat singulier qui, après une courte phase d'intenses activités militaires, s'est enlisé dans une guerre de positions où aucun des deux adversaires n'est en mesure de/aire asseoir l'autre à une table de négociation. Pour la première fois, deux armées du Tiers Monde abondamment pourvues de matériels modernes — dont certains sophistiqués — par les grandes puissances, s'affrontent sans que celles-ci, qui ne furent pas les inspiratrices du conflit, aient pu en contrôler ensuite le cours ou imposer un cessez-le-feu. L'auteur, qui a effectué deux missions d'évaluation de situation en Irak, en décembre 1980 et en avril 1981, nous livre ici le fruit d'observations faites sur le champ de bataille, dont il a pu visiter longuement, du Sud au Nord, les différents fronts. Il s'est volontairement limité à des remarques d'ordre général afin de rester dans les limites de la discrétion imposée par la poursuite des opérations militaires. Pour le détail des forces en présence, on pourra se reporter à son article « Le théâtre d'opérations du Golfe » paru dans notre numéro d'août-septembre 1980.
La guerre du Golfe
La guerre entre l’Irak et l’Iran a commencé, officiellement, le 22 septembre 1980, lorsque le Conseil de Commandement de la Révolution (CCR) irakien a donné l’ordre à l’armée de « porter des coups dissuasifs aux objectifs militaires iraniens ». En fait, l’initiative prise par le président Saddam Hussein de s’engager dans une « guerre totale » fait suite à une série déjà longue d’incidents frontaliers d’ampleur croissante (1). Si l’on prend en considération les ressources respectives des deux pays, on peut juger que le risque était grand pour l’Irak de se lancer dans une telle aventure militaire. Mais il était peut-être plus dangereux encore, à terme, pour le régime baassiste de laisser persister plus longtemps une tension à ses frontières orientales qui aurait pu trouver quelques prolongements à l’intérieur même du pays. Le président Saddam Hussein, suivant son habitude, aura ainsi voulu précéder l’événement et contenir un possible déferlement de la révolution khoméiniste. Du même coup, l’Irak pouvait recouvrer des « droits historiques usurpés » et s’afficher comme la première puissance de la région, à la veille de rendez-vous internationaux importants pour Bagdad (2).
Pour la première fois donc, deux armées du Tiers Monde, fortes en effectifs et abondamment pourvues en matériels modernes, se livrent à un affrontement direct sans que l’Union Soviétique ou les États-Unis en aient été les inspirateurs. Mieux encore : la richesse des arsenaux militaires détenus par les deux belligérants permet à chacun d’envisager sereinement la poursuite d’une guerre, devenue d’usure, puisque, démentant bien des pronostics, les deux premières semaines de combat n’ont pas permis à l’Irak d’afficher une victoire, militairement et politiquement décisive. Le conflit pose un certain nombre de questions d’ordre politique, car de son issue dépendront la stabilité du Golfe mais aussi la durabilité des régimes en place, tant à Bagdad qu’à Téhéran. Vouloir y répondre maintenant semble prématuré, car le sort des armes n’a encore rien décidé, même si l’avantage n’a cessé de revenir à l’Irak.
En revanche, chercher à expliquer la conduite des opérations, notamment du côté irakien, après avoir évalué les potentiels respectifs des deux armées, peut déjà donner matière à réflexion sur ce nouveau type de guerre du Tiers Monde. Cette prise de conscience est urgente, dans la mesure où quelques grandes puissances sont déjà accusées d’alimenter d’autres conflits potentiels par leurs fournitures d’armes, dont l’utilisation paraît désormais échapper de plus en plus à leur contrôle, si tant est qu’elles veuillent ou peuvent effectivement l’exercer.
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