Dronisation et robotisation intelligentes des armées (DRIA) - De la dynamique conflictuelle et opérationnelle mixte Homme-machine… à la dynamique conflictuelle et opérationnelle machine IA-machine IA ?
Dronisation et robotisation intelligentes des armées (DRIA) - De la dynamique conflictuelle et opérationnelle mixte Homme-machine… à la dynamique conflictuelle et opérationnelle machine IA-machine IA ?
Dans cet ouvrage, l’auteur dresse un tableau saisissant de ce que devrait être l’irruption de l’intelligence artificielle (IA) dans la conception et la conduite des opérations futures. Une irruption disruptive, car il l’affirme d’emblée, l’IA est un sujet fondamental pour les armées du fait de la généralisation du deep learning. En effet, le deep learning marque le passage de l’analyse de masse des différentes données et possibilités à une analyse qualitative douée d’un raisonnement intuitif, ce qui marque une disruption à venir.
Comme son titre l’indique, ce livre est organisé en deux parties : une première partie où l’Homme est toujours dans la boucle de décision ; une seconde où il disparaît au moins dans une première phase.
Une dynamique conflictuelle Homme-machine
Elle s’inscrit dans une logique assez banale de la machine au service de l’Homme. Certes, on assiste à une dronisation et une robotisation de toutes les armées et l’Homme s’éloigne progressivement du champ de bataille, mais fondamentalement c’est l’Homme qui reste responsable de la décision, et l’autonomie donnée aux drones et robots reste dépendante de la décision humaine.
En s’appuyant sur les développements en cours de drones et robots terrestres, aériens et sous-marins, l’auteur met en évidence les avantages tactiques et opérationnels de la dronisation et robotisation par l’IA-DRIA. Il attribue à ces avantages quatre caractéristiques : l’omnipotence, la permanence, la fulgurance et la résilience-accessibilité.
Malgré tout, cette dynamique Homme-machine s’inscrit dans le respect des règles du droit de la guerre et du droit des conflits armés. Il reste cependant la question du degré d’autonomie donné à ces machines qui, selon l’auteur, pourrait être résolue en établissant un distinguo entre vecteurs dronisés à capacité nucléaire et drones-robots tactiques, mais aussi entre offensif/défensif. Le problème résidant dans la façon de faire ce distinguo.
La dynamique machine IA-machine IA
Dans cette seconde partie tout change, du fait de l’application et de l’amélioration du deep learning. Il s’agit d’une véritable rupture stratégique, d’où l’importance pour les États d’investir dans ce domaine. Pour la première fois, l’homme pourrait être exclu, au moins dans un premier temps, du champ de bataille. En effet, cette évolution de l’IA est contradictoire avec la présence de l’Homme dans la boucle ; par principe elle implique le degré d’autonomie le plus grand, la capacité de prendre des décisions de façon autonome même si c’est dans un cadre normé.
La dronisation et robotisation IA des armées pourraient être un phénomène « totalitaire » autorisant la projection de puissance sans troupes au sol et sans équipages dans le ciel, sur ou sous les mers. L’auteur explique que le robot armé est non seulement plus efficace que l’homme, mais qu’il est surtout plus éthique. À l’efficacité technique s’ajouterait une efficacité morale. Cela dit, l’auteur ne soulève pas la question des biais cognitifs que les concepteurs d’algorithmes pourraient introduire. Par ailleurs, l’automatisation des systèmes d’armes est une faculté légale. À ce stade, il esquisse un tableau de ce que pourrait être la bataille du futur.
L’interconnexion machine-machine (Botnet-drone/robot IA) va donc remplacer à moyen terme l’interconnexion Homme-machine. Cela implique une coordination des DRIA du même milieu et un panachage entre ces différentes escadrilles, ainsi que l’utilisation du drone en essaims qui visent aussi à créer un effet de saturation, et de drones en constellation pour la surveillance ou l’action sur zone. Plus encore, la question de l’occupation du territoire pourrait être assurée dans un premier temps par des « droïdes » interconnectés à des drones de surveillance. Au plan stratégique, à l’instar de l’arme nucléaire, les drones et robots pourraient assurer la sanctuarisation d’un pays, mais seulement de façon absolue à l’égard des pays non dotés de DRIA. Pour les pays qui en sont dotés, la sanctuarisation ne sera plus que relative.
S’ensuit une description de la guerre du futur : une entrée en premier en ayant recours exclusivement aux DRIA suivie d’une phase de déploiement de moyens humains pour sécuriser la zone. Cependant, cette articulation entre phase dronisée/robotisée et phase humaine de l’action militaire pourrait rapidement laisser la place à la seule phase de la bataille dronisée IA et pourrait conduire à la victoire militaire décisive par « KO ».
Voilà revenue le mythe éternel chez tous les chefs militaires, celui de la mère des batailles, de la guerre décisive qui apporte la victoire. Mais la guerre ne se laisse pas réduire au paradigme clausewitzien, car par son processus inégalitaire, la DRIA, accentuera le risque d’asymétrie des conflits futurs. S’agissant de la doctrine de dissuasion nucléaire, celle-ci fera toujours sens vis-à-vis des puissances non-nucléaires, mais l’apparition de drones IA évoluant en zone aérospatiale de transition (ZAT) et susceptibles de délivrer des missiles nucléaires hypersoniques entraînera un risque d’attaque nucléaire préemptive au titre de la doctrine de légitime défense. Cette apparition de DRIA porteurs de missiles nucléaires aura un effet stratégique déstabilisant.
Le paradoxe de cette automatisation de la guerre est que celle-ci ne fait que renforcer la perspective de la guerre asymétrique, c’est-à-dire le recours à la guérilla pour la phase ultime qui est celle de l’occupation du territoire. Il faudra alors avoir recours à des forces armées humaines.
Il faut donc se préparer simultanément à une guerre de hautes technologies et à une guerre rustique. D’un côté, on va vers la création d’un être technique, ce qui ne manquera pas de susciter des questions existentielles sur ce qu’est le soldat dont la légitimité à donner la mort repose sur la possibilité de sa propre mort. D’un autre côté, paradoxalement, cette automatisation de la guerre renforce l’occurrence de conflits asymétriques.
Les DRIA sont à la fois une rupture et une continuité. Il y a donc une nécessité de poursuivre l’effort de recherche sur l’IA avec comme objectif une dronisation et robotisation intelligentes des armées. La question essentielle étant maintenant celle de la conservation du contrôle de l’Homme sur la machine, avec le risque de la disparition de l’espèce humaine.
Addendum FOST
L’ouvrage se termine par un chapitre particulier consacré à l’impact des DRIA sur la composante nucléaire. Il souligne, en effet, les vulnérabilités de la composante sous-marine liées à l’implantation terrestre des bases de soutien et de support, face à la menace constituée par des drones évoluant en ZAT, soit en orbite basse pour délivrer leurs missiles hypersoniques, soit par le maintien en vol en ZAT de drones hypersoniques équipés de missiles hypersoniques. Ce qui induit une très grande vulnérabilité de nos forces nucléaires. C’est le risque « Pearl Harbour » : risque de neutralisation par arme conventionnelle de trois de nos sous-marins et du porte-avions. Dans ce cas, quid d’une riposte nucléaire ? Pour l’auteur, la solution réside dans l’hypervélocité et la dronisation. Avoir des drones hypervéloces en ZAT ou dans les grands fonds.
Dronisation et robotisation intelligentes des armées est un ouvrage très stimulant par le tableau qu’il dresse de l’application de l’IA pour la conduite des opérations militaires, la conduite de la guerre et par la disruption que cela va induire aussi bien au plan tactique que stratégique. Il en conclut que l’État et les Armées doivent s’engager massivement dans le développement des applications militaires de l’IA, tout en en soulignant les dangers et les limites. Particulièrement pour conserver la maîtrise de l’Homme sur la machine, mais aussi pour la condition du soldat condamné à s’éloigner, voire à disparaître du champ de bataille.