Editorial
Éditorial
Réfléchir le monde, comprendre les déséquilibres et décrypter la violence intrinsèque à l’humanité en évitant l’optimisme béat des idéalistes et le cynisme des idéologues, tel fut le parcours intellectuel de Pierre Hassner (1933-2018), dont le chemin de vie, de Bucarest à Paris, contribua largement à sa compréhension des mécanismes des relations internationales et de la géopolitique.
Fidèle contributeur de la Revue Défense Nationale depuis 1970, Pierre Hassner a participé à l’élaboration d’une analyse française des conflits internationaux dans le cadre de la guerre froide puis du monde post-1989, avec l’émergence d’une mondialisation aujourd’hui « fracturante » et remettant en cause notamment les principes fondamentaux de nos démocraties représentatives. D’où, d’ailleurs, une tonalité teintée de pessimisme dans l’ensemble des textes rassemblés dans ce numéro exceptionnel qui rend hommage à Pierre Hassner.
À l’heure où l’élaboration des politiques étrangères semble se limiter à des tweets irréfléchis et à des éléments de langage conçus par des communicants, il est essentiel, voire urgent, de revenir au temps long de l’analyse stratégique, ainsi que le concevait et l’écrivait Pierre Hassner.
D’où la nécessité de cette publication qui s’étale sur près d’un demi-siècle et qui montre au fur et à mesure des pages, et donc du calendrier, combien les passions humaines peuvent diviser, mais aussi rassembler. Avec une constante constamment réaffirmée, le besoin d’Europe, pour consolider une paix au demeurant fragile. Et ce message subliminal reste plus que jamais d’actualité pour que l’Europe prenne conscience qu’elle ne peut se contenter d’un simple soft power économique face au retour des empires et des rapports de force. Cette exigence est désormais vitale devant les déséquilibres du monde tant appréhendé par Pierre Hassner en son temps.
Ce n’est donc pas un hasard si La Fabrique Défense qui vient de se dérouler à Paris et en province a eu d’emblée une dimension européenne. En rassemblant plusieurs milliers de jeunes, cet événement a contribué à la prise de conscience de l’importance des enjeux de défense dans cette perspective d’une Europe plus solidaire et moins « autruche » dans un monde en désordre.
En voyant notamment à cette occasion l’essor des études de défense et de relations internationales proposées par le monde académique, les grandes écoles et les think tanks, on voit là tout l’apport d’hommes comme Aron dans les années 1960-1970 puis Hassner. Bien que rejetés par une intelligentsia aveuglée par son idéologie, ils ont su regarder la réalité du monde avec lucidité. ♦