Après la décennie 1950 marquée par la guerre froide, les années 1960 constituent une période de transition avec une certaine normalisation des rapports Est-Ouest, marquée par des équilibres locaux s’inscrivant dans la bipolarité du monde. Cependant, les difficultés intérieures propres au bloc soviétique, les évolutions sociétales confrontées à l’idéologie communiste et la question non résolue des nationalismes dans l’Europe de l’Est et du Sud-Est peuvent constituer des sources de pessimisme quant à la paix. D’où la nécessité d’un dialogue intereuropéen plus important dépassant la partition actuelle en deux camps.
Texte paru pour la première fois dans le n° 289 de la RDN, en mai 1970.
Europe in the 1970s: Stability and Conflicts
[RDN No 289, May 1970] After the 1950s, a decade dominated by the Cold War, the 1960s were a transition period in which there was some normalisation of East-West relations, notably in localised balances, yet overall in line with the bipolar nature of the world. Nevertheless internal difficulties in the Soviet bloc, societal changes that challenged communist ideology and the unresolved question of nationalism in eastern and south-eastern Europe fuelled pessimism regarding peace. There is thus a need for greater inter-European dialogue that goes beyond the current divide between the two camps.
L’analyste qui, en cette première moitié de 1970, jette un regard en arrière sur les relations Est-Ouest dans l’Europe des années 1960 pour y chercher les perspectives de son évolution dans la décennie qui vient de s’ouvrir, ne saurait se défendre d’une certaine perplexité.
Il est clair que les années 1960 ont été des années de transition – mais au fait, une transition entre quels éléments ? Entre la guerre froide des années 1950 et une réconciliation Est-Ouest ou une réunification européenne, dont les initiatives françaises auraient été l’amorce et les négociations entamées par l’Allemagne d’une part, les États-Unis de l’autre, avec les pays communistes et en particulier l’URSS, seraient la consécration ? Entre, d’une part, le primat des grandes puissances, symbolisé d’abord au temps de Staline par le caractère rigide et militaire de la confrontation, ensuite sous Khrouchtchev et Kennedy par les grands desseins des deux Grands, et, d’autre part, l’initiative accrue des Nations moyennes ou petites à l’intérieur des alliances menant, demain, à un retrait des leaders ou à une « dissolution des blocs » ? Entre une phase où les deux Grands pensaient avant tout à leur confrontation et à leur équilibre et une phase où d’autres préoccupations (prolifération nucléaire, Chine, difficultés intérieures) prendraient le dessus, ou au contraire une phase où les crises intérieures, selon les cas, de leurs alliés et de leurs alliances, ou de leurs satellites et de leurs sphères, les amèneraient à réaffirmer leur présence de manière pacifique ou violente, symétrique ou contrastée, conjointe ou rivale ? La perplexité vient précisément de ce que toutes ces directions possibles répondent à des tendances d’évolution qui se sont effectivement manifestées ces dernières années.
Sans doute la caractéristique majeure du système européen actuel, comme d’ailleurs du système international dans son ensemble, est-elle la coexistence de caractères opposés et, à la limite, contradictoires, selon que l’on considère l’équilibre stratégique, la diplomatie des États et l’évolution des sociétés : bipolarité et polycentrisme, hostilité et coopération, stabilisation et bouleversements semblent tour à tour dominer selon les moments, les niveaux et les points de vue.