L’Europe ne veut ni d’une pax sovietica ni d’une pax americana, pas plus qu’elle n’est disposée à se soumettre à un condominium soviéto-américain. Elle refuse de se laisser enfermer dans les dilemmes dont l’auteur donne maints exemples et dont les deux termes du jargon politique américain traduisent l’alternative : linkage or decoupling ? Lier les problèmes ou les dissocier ? Ces faux dilemmes et ces vrais problèmes, elle veut les surmonter par une attitude de coopération qui n’exclut pas la fermeté et qui rejette la transformation des anciens antagonistes en complices et celle des alliés en antagonistes.
Texte paru pour la première fois dans le n° 334 de la RDN, en juin 1974.
The Contradictions of Détente: False Dilemmas and Genuine Problems
[RDN No 334, June 1974] Europe has no desire for pax Sovietica or pax Americana, any more than it wishes to be subjected to a Soviet-American condominium: it refuses to get trapped in dilemmas, which in American political jargon are regarded as linkage or decoupling—the author gives numerous examples. Linking problems or dissociating them? Europe wants to overcome these false dilemmas and real problems through an attitude of cooperation that does not exclude firmness and that rejects the transformation of former antagonists into partners and of allies into antagonists.
Séparer ou lier ? Telle est la question. Dans la phase actuelle des relations internationales, à l’intérieur des alliances et entre elles, entre l’Est et l’Ouest, entre le Nord et le Sud, entre États et entre sociétés, un double phénomène contradictoire semble se produire. D’une part il y a différenciation des domaines, des points de vue, des dimensions ou des niveaux de la réalité, qui étaient jusque-là confondus, du moins en apparence. D’autre part il y a mise en relation de ces mêmes aspects indistincts ou isolés, et mise en évidence de leur influence réciproque. D’une part il y a entente entre adversaires et conflits entre alliés, ou coopération économique et course aux armements, ou coexistence pacifique et lutte idéologique, ou détente à l’extérieur et durcissement à l’intérieur, etc. D’autre part, l’évolution intérieure des alliances et des Nations influence plus qu’auparavant leurs rapports extérieurs, et réciproquement ; il en va de même pour l’influence indirecte et réciproque des rapports entre sociétés et des rapports entre États. Précisément parce que le monde international ne peut plus être vu sous l’aspect de deux blocs parfaitement solidaires à l’intérieur et opposés entre eux, précisément parce que la multiplicité des relations contradictoires selon les domaines et selon les acteurs devient à la fois plus évidente et plus importante, les relations entre ces différentes dimensions désormais émancipées apparaissent de manière à la fois plus nette, plus complexe, et plus problématique.
Dès lors, au-delà de l’ambiguïté générale, la question se pose de savoir si, pour comprendre et pour agir, l’on doit faire appel à une stratégie globalisante, qui lierait les dimensions contradictoires en les compensant et en en faisant les éléments d’un marché implicite ou explicite où les intérêts communs sur certains plans permettraient de résoudre les conflits qui se présentent sur d’autres (c’est ce que les Américains appellent le linkage) ou, au contraire, séparer les problèmes au maximum, pour éviter que les terrains d’entente ne soient empoisonnés par les pommes de discorde (ce que les Américains appellent le decoupling).
Le grand dilemme des États-Unis