À l’occasion d’un colloque sur « guerres et paix au XXIe siècle », Pierre Hassner revenait sur la théorie du choc des civilisations présenté par Samuel Huntington. Pour le Français, cette thèse comprenait des ambiguïtés, notamment autour de la place de la religion, alors qu’il lui semble nécessaire de prendre en compte les systèmes économiques et politiques face à la modernisation et à la globalisation (aujourd’hui la mondialisation). Avec la question non résolue du lien entre démocratie et individualisme et entre fondamentalisme et « barbarisation ».
Texte paru pour la première fois dans le n° 574 de la RDN, en avril 1996.
Clash of Civilisations or Dialectic of Modernity
[RDN n° 574, April 1996] At the colloquium on Wars and peace in the twenty-first century, Pierre Hassner reviewed Samuel Huntington’s theory of clash of civilisations. For the Frenchman, this theory has a number of ambiguities, particularly on the place of religion, yet for him it would appear appropriate to take into account the economic and political systems that are facing modernisation and globalisation. There remain the unresolved matters of the link between democracy and individualism and that between fundamentalism and barbarism.
L’écho retentissant recueilli par les thèses de Samuel Huntington sur le conflit des civilisations comporte un double danger : celui d’occulter d’une part la complexité du problème soulevé, d’autre part la richesse de l’œuvre d’un des auteurs américains les plus féconds et les plus imaginatifs. Qui, par exemple, parmi les nouveaux disciples ou détracteurs de Huntington, connaît son grand livre Political Order in Changing Societies, où il analyse magistralement les dilemmes de la mobilisation et de l’institutionnalisation, du changement social et de la légitimité politique, dans les pays en transition ? C’est pourquoi nous avons choisi, pour montrer les limites et les dangers du thème qui a fait sa gloire mondiale, d’avoir recours à d’autres qu’il a illustrés non moins brillamment.
On pourrait dire que Samuel Huntington a lancé dans le ciel de la discussion historique et prophétique trois fusées, que nous appellerons Sam I, Sam II et Sam III.
La première, Sam I, qui nous paraît répondre à son inspiration la plus permnente, concerne les dangers que l’évolution des sociétés – du Tiers-Monde à la société post-industrielle – comporte pour la démocratie, et la nécessité d’une certaine restauration de l’autorité menacée par les excès de la mobilité et de l’anarchie.