L’incertitude stratégique que beaucoup ressentent, résulte de fragiles équilibres antérieurs désormais rompus, de l’apparition de nouveaux acteurs et de nouvelles frictions, mais surtout de la crise générale du politique qui est la marque d’un monde en transition rapide. Cette déstabilisation des anciens équilibres s’accroît d’autant plus que les échelles de temps sont désormais distinctes entre les différents acteurs, les uns voulant l’instantanéité et les autres le temps long.
Texte paru pour la première fois dans le n° 766 de la RDN, en janvier 2014.
Reflections on Uncertainty
[RDN n° 766, January 2014] The strategic uncertainty felt by many is the result of the upsetting of former delicate balances, the appearance of new players and new sources of friction and above all of the general political crisis that is the mark of a world undergoing rapid change. Such destabilisation of former balances is increasing, especially given that those players now have distinctly different timescales—some wanting instant results, others seeking results over the longer term.
Les équilibres rompus
La situation actuelle est caractérisée par une multiplication des dimensions géostratégiques, des acteurs et de leurs relations. Cela aboutit à deux résultats opposés, mais également fâcheux. D’une part, il y a un brouillage généralisé entre l’intérieur et l’extérieur des sociétés et, à l’intérieur de chacune d’elles, les frontières entre le privé et le public, entre le civil et le militaire, etc. sont de plus en plus floues. D’autre part, la tendance est à la séparation entre des instances dont le dialogue est la base du lien social : État et citoyen, élites technocratiques ou internationalisées invoquant la contrainte des marchés ou les opportunités lointaines et, en face, des mouvements populistes, protestataires et protectionnistes tentées par la fermeture ou le repli. S’y ajoute l’affaiblissement des instances de médiation (partis politiques, syndicats, autorités judiciaires et administratives), le tout aux dépens de l’autorité, de la réciprocité et de la confiance. C’est une évolution qui vient de loin.
L’ordre westphalien était miné par l’inégalité des grands et des petits États, par les conflits des empires entre eux, par la révolte des nationalités et des révoltes sociales, par l’interdépendance économique et la contagion des crises.