Les Alliés considéraient avoir la supériorité navale face à l’Allemagne, mais dans les faits les flottes françaises et britanniques avaient de nombreuses lacunes que la Kriegsmarine avait identifiées. De plus, la Royal Navy subissait un vieillissement de ses navires qui ne serait surmonté qu’à partir de 1941.
Histoire militaire – Octobre-novembre 1939 : la stratégie navale des Alliés
Military History—October-November 1939: Allied Naval Strategy
The allies considered that they had naval superiority over Germany but the facts reveal that the French and British fleets had many failings which had been identified by the Kriegsmarine. Moreover, the Royal Navy was suffering from ageing of its ships, an issue only overcome from 1941.
Persuadés de leur supériorité navale indiscutable et durable, les Alliés franco-britanniques sont entrés en guerre en misant sur un affaiblissement de l’économie allemande par la répétition du blocus du conflit précédent. Il est vrai que le rapport de force entre les flottes allemandes et franco-britanniques semblait leur donner raison, la Kriegsmarine n’ayant d’ailleurs pas encore atteint le tonnage autorisé par l’accord naval anglo-allemand de 1936. Toutefois, cette supériorité n’est pas aussi solide que l’on croyait dans les chancelleries et les états-majors.
Si le personnel de la Royal Navy était toujours d’une très haute qualité, en revanche les constructions navales britanniques avaient considérablement baissé de rythme entre 1922 et 1937, si bien que la flotte britannique avait subi un vieillissement sensible de ses unités, qui ne serait surmonté que par un effort de réarmement, mais dont les effets ne devraient pas se faire sentir avant 1941 ou 1942. Certes, 15 bâtiments de ligne (cuirassés) s’opposent à 5 bâtiments allemands du même type, mais 3 seulement, le Hood, le Repulse et le Renown étaient suffisamment rapides et armés pour neutraliser ces derniers. Et encore, l’armement principal des « cuirassés de poche » allemands surclassait celui de tous les bâtiments alliés. C’est ce qui avait déterminé l’Amirauté britannique à demander à l’amiral Darlan que deux cuirassés modernes français renforcent la surveillance de l’Atlantique Nord. Pour compenser le lancement des cuirassés allemands Bismarck et Tirpitz, l’Amirauté britannique avait également agi auprès du ministère de la Marine français pour faire accélérer l’achèvement des deux cuirassés Richelieu et Jean Bart, alors en chantier.
En ce qui concerne l’aéronavale, la France ne disposait que d’un « transport d’avions », le Béarn, et la Royal Navy avait d’autant mieux négligé les porte-avions, que sa doctrine prévoyait que les avions pourraient tout au plus ralentir les bâtiments ennemis, qui ne pourraient être coulés que par d’autres navires.
Pour ce qui est de la protection des lignes de communication maritimes, l’Amirauté britannique privilégiait la flotte de surface, négligeant la menace sous-marine, au sujet de laquelle elle écrivait en 1937 que les sous-marins ne seraient plus jamais en mesure de lui poser les mêmes problèmes qu’en 1917. Les experts britanniques pensaient pouvoir compter sur l’équipement de 200 de leurs bâtiments en ASDIC (Anti-Submarine Detection Investigation Committee), un dispositif d’identification sous-marine fondé sur le bruit et le système des convois, déjà expérimenté en 1917.
Or, si la Kriegsmarine ne disposait en octobre 1939 que de 57 sous-marins, dont 22 seulement se trouvaient en patrouille dans l’Atlantique, la doctrine sous-marine, exposée par Dönitz dans un ouvrage publié en 1939, laissait envisager le recours aux meutes de sous-marins dont l’efficacité commençait à s’imposer en 1918, au moment de la cessation des hostilités. Il était donc hautement probable que la construction et la production de sous-marins allaient s’accélérer en Allemagne, que l’arme sous-marine serait privilégiée, et que, dans l’hypothèse où la guerre navale prendrait une importance majeure du fait des lignes de communication maritimes (dont coloniales), la puissance industrielle allemande allait lui permettre de constituer une flotte sous-marine extrêmement dangereuse et menaçante pour la supériorité des marines alliées.
Les premiers épisodes de la guerre suffirent d’ailleurs à le démontrer : le Royal Oak, certes un vieux cuirassé, et le porte-avions Courageous se sont fait couler au mouillage à Scapa Flow, par un sous-marin allemand, l’U-47, dont le commandant, particulièrement audacieux avait réussi à se glisser jusqu’à l’intérieur de la première base navale britannique. Pendant ce temps, les sous-marins commençaient, dans l’Atlantique, à causer des pertes sensibles aux flottes de commerce alliées.
Enfin, face au danger aérien, les défenses antiaériennes des marines française et surtout britannique étaient trop faibles, comme allaient très rapidement le montrer les opérations navales de Norvège et de Méditerranée. En fait, les états-majors navals alliés, français et britanniques, n’avaient pas réfléchi à la menace mortelle que pourrait représenter, pour des flottes de surface, l’emploi en force et en masse de formations aériennes de bombardement.
In fine, la supériorité, complaisamment affichée, dès la déclaration de guerre, des marines française et britannique, était loin d’être pérenne et incontestable. À leur renforcement, à compter de 1942, correspondrait vraisemblablement l’entrée en service massive de nouveaux sous-marins allemands. La vulnérabilité de leurs bâtiments à l’arme aérienne constitue une faiblesse sans appel. En revanche, la capacité de protection des chantiers navals, tant français que britanniques était réelle et efficace.
En termes de missions, les deux amirautés étaient conscientes que leur mission prioritaire serait la protection de leurs lignes de communication maritimes, laquelle accaparerait l’essentiel de leurs moyens, alors que la marine allemande concentrerait ses efforts dans des opérations offensives conformément à sa stratégie d’ensemble. Pour ce qui est du lancement de nouvelles unités, les capacités des chantiers navals français et britanniques étaient importantes, mais pas illimitées. La puissance industrielle allemande, renforcée des capacités des régions annexées au Reich avant la guerre, pourrait sûrement y faire équilibre. Dans ce domaine, une guerre longue ne donnerait peut-être pas un avantage décisif aux Alliés, au moins tant que la puissance économique américaine ne viendrait pas définitivement renverser de façon irréversible le rapport de force, par un engagement aux côtés des alliés. ♦