À travers les livres - Mer et stratégie
Les éditions Fernand Nathan viennent de publier, dans une collection appelée « Dossiers 90 », un livre de 315 pages, dont le titre est Stratégie navale, guerre ou dissuasion ? et dont l’auteur est le vice-amiral Pierre Lacoste.
Nos lecteurs connaissent bien l’auteur de cet ouvrage puisque l’amiral Lacoste a déjà publié dans notre revue plusieurs articles très appréciés sur les problèmes contemporains de la stratégie maritime (1). Aujourd’hui, en publiant ce livre qu’il intitule « Stratégie navale, guerre ou dissuasion ? », notre ami vise un objectif beaucoup plus ambitieux, puisqu’il se propose de faire œuvre de vulgarisation sur un sujet aussi complexe.
Il a observé en effet que le grand public français était mal informé de ces problèmes, ce qui est indubitable, et il a estimé que le moment était venu de tenter de les faire percevoir aux jeunes générations, parce que celles-ci sont mieux préparées à les comprendre. Elles s’intéressent en effet beaucoup au milieu marin, même si c’est surtout parce que la mer évoque pour elles l’aventure, celle du « monde du silence » ou celle des courses-croisières. L’amiral Lacoste se propose donc de leur transmettre la foi qui a présidé à sa vocation et qui n’a pas cessé de l’animer : la mer, c’est passionnant, mais la mer c’est aussi très important pour la France.
La deuxième partie de ce message n’a en effet jamais été vraiment assimilée par les Français au cours de notre histoire, ce qui est paradoxal si on observe notre géographie. Nous avons eu parfois, cependant, des dirigeants lucides qui l’ont entrevu. Ils se sont alors au mieux heurtés à l’indifférence. Il en résulte que nous avons rarement eu la marine de nos besoins et que, lorsque celle-ci a pu parvenir à se constituer à force d’efforts quasi clandestins, elle n’a pas été engagée résolument, ou elle a été engagée trop tard. On avait peur de la casser, c’est tout au moins mon explication de bien des déconvenues car, à la mer et à la guerre, la chance ne passe jamais deux fois.
L’amiral Lacoste ne se penche pas longtemps sur le passé, et il a raison puisque son propos est l’avenir. Il évoque d’abord les trois prophètes de la stratégie maritime contemporaine : Mahan, l’Américain qui, le premier, a analysé les facteurs constitutifs de la puissance sur mer, Mackinder, le Britannique, qui a mis en évidence le rôle de la mer dans la géostratégie, Castex, le Français, qui a été l’inventeur génial de la théorie du « perturbateur », le « maître de la terre » dont le « maître de la mer » vient toujours, en définitive, à bout.
Il souligne ensuite les deux faits capitaux nouveaux qui sont en train de profondément modifier sur mer les données de la stratégie. Le premier est l’apparition du véritable sous-marin, maintenant qu’il est doté de la propulsion nucléaire, alors que ses prédécesseurs n’étaient que des submersibles. Le deuxième est la constitution par les Soviétiques d’une marine océanique puissante, capable de surclasser, en certains domaines, la marine américaine, et qui en tout cas, donne à l’URSS la possibilité de projeter partout dans le monde sa puissance sur la terre à partir de la mer et d’utiliser ainsi à son profit toutes les possibilités de la stratégie indirecte, jusqu’alors réservées aux seuls maîtres traditionnels de la mer.
Après quelques réflexions très pertinentes sur le désert que constitue la haute mer, sur les spécificités du commandement à la mer et sur ce parfait phénomène de société que constitue « l’équipage », l’amiral Lacoste entreprend d’expliquer au grand public l’usage des différents types de bâtiments et d’aéronefs ainsi que les tactiques correspondant à leurs armes et à leurs moyens de détection et de transmissions. Il résume les principes du combat à la mer par quatre critères : mobilité, vigilance, communication et attaque. Pour ce dernier, j’aurais préféré, quant à moi, « agressivité ». C’est dans cet essai de vulgarisation que l’amiral Lacoste trouve sa réussite la plus éclatante. Grâce à des croquis remarquables, il réussit à rendre limpides aussi bien les différents moyens de propulsion et de détection que l’usage des missiles, l’emploi des liaisons par satellites, l’utilisation de l’avion de patrouille maritime et celle du sous-marin d’attaque.
Souhaitons qu’un ouvrage aussi réussi fasse mieux comprendre aux Français le rôle que peut jouer la mer pour la sauvegarde de notre indépendance, dans tous les domaines. Souhaitons aussi que cette meilleure compréhension s’exprime par une ferme volonté politique, au lieu de s’endormir dans l’incantation, comme il arrive trop souvent.
Souhaitons enfin que l’amiral Lacoste nous donne prochainement un autre ouvrage, pour lequel il pourrait reprendre le même titre, où il nous ferait part de ses réflexions sur la stratégie indirecte et le maniement des crises. C’est un sujet sur lequel, j’en suis persuadé, il a des choses intéressantes à dire. Son expérience, en tout cas, l’y a bien préparé. ♦
(1) Défense Nationale, juillet 1978 : « Les forces maritimes en temps de crise » ; octobre 1978 : « Problèmes contemporains de politique et de stratégie navale » : novembre 1980 : « Les crises de notre époque et les stratégies indirectes ».