La guerre des conflits armés du XXe siècle a vécu. De nouvelles formes de conflictualité amènent des transformations profondes notamment dans des champs immatériels moins régulés. D’où le besoin d’une réflexion stratégique renouvelée privilégiant des approches différenciées s’inscrivant dans la durée et portant sur la souveraineté de demain.
La guerre, mutation et avatar : « La guerre est finie, vive la guerre ! »
Warfare, Change and Appearance: War is Over—Long Live War!
The armed conflict warfare of the twentieth century has had its day. New forms of conflict are bringing with them profound changes, particularly in less regulated, less tangible areas. Hence a need for renewed strategic reflection that favours diverse approaches over the long term and which takes into consideration future sovereignty.
La guerre, celle des conflits armés pratiquée jusqu’à la moitié du XXe siècle, devenue illégale en 1945, fut rendue ingagnable quand l’arme nucléaire fut couplée à la dissuasion stratégique. Cette guerre-là par nature interétatique et d’essence militaire est finie ou presque. Alors elle a logiquement muté. Une autre forme de conflits tout aussi radicaux a pris sa place avec de nouveaux acteurs, infra ou supra étatiques, éphémères et artisanaux, de nouveaux champs d’affrontements largement diversifiés, avec des tactiques démultipliées, des instruments de combat plus variés aussi. Et les militaires réguliers n’en sont plus les opérateurs principaux. Mais les aspects les plus fondamentaux de la guerre et de la stratégie militaire, ses buts et ses ruses, ses dynamiques et ses enjeux ont survécu à ce nouvel avatar. Cette crise de la guerre impacte fortement notre système de sécurité.
Pourquoi revenir une nouvelle fois sur la nature de la guerre ?
Tout n’a-t-il pas été dit, et bien dit, depuis la fin de la guerre froide, il y a trente ans ? La RDN a rendu compte en continu des débats qui la concernaient dès sa création, en 1939. Le précédent numéro de notre revue rendait justement hommage à notre maître Pierre Hassner qui sut si bien en examiner les évolutions modernes. C’est que la guerre est une activité humaine cruciale qui a structuré l’histoire du monde, une activité hissée au niveau de l’art par de grands capitaines et dont sa philosophie s’épanouit jusqu’en métaphysique. La guerre a fasciné par sa dualité, à la fois sauvage et débridée (en latin, guerra), ordonnée et rationnelle (bellum). Le métier militaire l’envisage avec bravoure et efficacité. L’activité politique en fait une violence légitime mobilisable en dernier recours. Pour beaucoup, elle est un invariant de la société, le terme normal des compétitions et des passions humaines. Est-ce toujours vrai ? Où en sont rendus l’intelligence et le sang-froid stratégiques (1) aujourd’hui, début 2020 ?
Beaucoup qui exprimaient ces dernières années l’immanence ontologique de la guerre ont, tel Philipulus, annoncé son bel avenir dans la vague de mondialisation actuelle. Sans doute. Le général Poirier, au temps de la Fondation pour les études de défense nationale (FEDN), aimait pourtant rappeler aux jeunes élèves des Écoles de Guerre d’alors qu’il fallait se garder de la « mettre à toutes les sauces » et de la décliner sous toutes les formes que pouvaient prendre les compétitions de volonté, les antagonismes et les rivalités, passionnelles ou culturelles, les convoitises et les chocs d’intérêts collectifs qui débouchaient sur des affrontements larvés ou ouverts au sein des sociétés ou entre elles. Il leur recommandait de réserver ce vocable d’abord aux conflits armés conventionnels et il avait de nos arguments pour cela.
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