Le général André Beaufre (1902-1975) a eu une carrière militaire très riche avec de hautes responsabilités et a été un penseur de la stratégie. Sa contribution à la prospective mérite d’être connue et étudiée, car elle s’appuie à la fois sur l’expérience, le pragmatisme et l’analyse des possibles, permettant de dégager des probables.
Bâtir le meilleur des mondes possibles
Building the Best of all Worlds
General André Beaufre (1902-1975) enjoyed a rewarding military career with great responsibility. He was a renowned strategic thinker, whose contribution to forecasting the future merits study since it was built upon experience, pragmatism and analysis of the possible, which led to revelation of the probable.
« Il n’y a de vrai sujet que l’avenir (1) », écrit André Beaufre au début des années 1950. Mais si le soldat qui avait vécu la débâcle en est alors convaincu, le stratège qu’il devient ensuite ne peut qu’amèrement regretter la série des toujours « trop tard » : « 1940, l’Indochine, l’Algérie, Suez, portent tous en exergue le mot fatal “Trop tard”. Pour éviter de retomber dans la même faute, il faut scruter l’avenir, prévoir les tempêtes et intervenir avant l’orage (2). »
Planifier lui paraît consubstantiel au métier militaire ; l’expérience l’incite néanmoins à penser que cet art est malheureusement peu partagé : « Emporté par le courant de l’Histoire, l’homme d’État dérive, sans boussole, effrayé des récifs du futur, sans savoir vraiment comment maintenant diriger l’esquif qui l’a conduit avec bonheur jusque-là, parce que les tourbillons qu’il voit naître sont nouveaux pour lui (3). »
Ces lignes qui datent de 1974 sont écrites au soir de sa vie, alors qu’arrive au pouvoir une nouvelle génération de dirigeants (4). Elles ne sont pas sans faire écho à l’incitation à étendre la méthode stratégique que l’écrivain formulait dès 1963. Dans sa célèbre Introduction à la stratégie, il appelait à ce qu’elle ne soit « plus l’apanage des militaires » (5), mais devienne « une discipline de pensée indispensable au niveau des classes dirigeantes » (6). Car la stratégie est déjà, en soi, une prospective. Quand Bâtir l’avenir paraît en 1967, le texte se nourrit des travaux conduits à l’Institut français d’études stratégiques (IFDES) et fait directement suite à la trilogie (7), dont le dernier volet, Stratégie de l’action, a été publié l’année précédente.
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