Sailing True North: Ten Admirals and the Voyage of Character
Sailing True North: Ten Admirals and the Voyage of Character
De la même manière que les partisans de l’école historique préconisent l’étude des hauts faits des « grands capitaines », l’amiral James Stavridis propose, pour l’édification de ses lecteurs, la mise en perspective du parcours de dix « grands amiraux » qui ont marqué leur temps. Toutefois, loin de se concentrer sur les seuls succès opérationnels des figures tutélaires choisies, l’ancien commandant en chef de l’Otan s’attache surtout à mettre en avant les personnalités de ces dix grands chefs, en y distinguant plus particulièrement les ressorts de leurs réussites… et de leurs échecs. Si la palette est large sur le plan historique (de l’Antiquité avec Thémistocle jusqu’à la fin du XXe siècle avec Zumwalt), elle est en revanche plus resserrée sur le plan culturel, étant assez naturellement centrée sur le monde anglo-saxon (pour huit figures sur dix).
L’auteur commence par faire honneur à ses origines grecques, en ouvrant la fresque avec l’amiral Thémistocle. Vainqueur de la bataille de Salamis face à la flotte perse, il brilla par sa capacité d’entraînement, par son optimisme communicatif et par son sens tactique et politique. Vient ensuite l’amiral Zheng He, cette figure légendaire qui écuma le monde indo-pacifique à la tête d’une armada de trois cents navires au XIVe siècle, faisant ainsi entrer la Chine dans le Sea Power bien avant que cette notion ne soit théorisée. Il est d’ailleurs piquant de voir ici l’amiral américain tresser les lauriers de celui qui sert aujourd’hui de principale figure légitimatrice à la Chine pour ses prétentions territoriales en mer de Chine méridionale. Quelques siècles plus loin, l’auteur convoque la figure de Francis Drake, personnage ambigu qui déploya son énergie formidable pour le meilleur et pour le pire ; cette figure clivante est d’ailleurs habillement utilisée par l’amiral Stavridis en guise de contre-exemple pour montrer les écueils des passions mauvaises chez un chef. Vient ensuite la figure légendaire d’Horatio Nelson, ce « pur leader » au grand courage physique et doté d’un sens du devoir chevillé au corps. Il laisse quelques pages plus loin la place à l’amiral Alfred Thayer Mahan, ce « Saint Thomas d’Aquin de l’US Navy », qui fut « tout sauf un marin et un leader », mais qui brille au panthéon des grands amiraux par son approche visionnaire et son talent d’éducateur. L’amiral Fisher, l’un des plus fameux First Sea Lord de la Royal Navy (de 1904 à 1910), est ensuite offert au lecteur pour sa volonté de fer, son optimisme et surtout sa faculté d’innovation matérielle et organisationnelle, qui lui vaut sous la plume de l’auteur le surnom « d’innovateur en chef de la marine la plus puissante du monde ».
Les amiraux suivants sont tous Américains. Le roi Nimitz, d’abord, ce vainqueur du Pacifique qui fut à la fois stratégiste et stratège, après avoir pris son commandement sur les ruines fumantes d’un Pearl Harbor dévasté le 31 décembre 1941. Nimitz est l’homme de l’humilité, de la capacité à absorber la pression et surtout de la formidable aptitude à travailler en équipe. L’enfant terrible Rickover, ensuite, cet « homme de la colère et du ressentiment », qui mit l’US Navy sur les rails de la propulsion nucléaire grâce à sa volonté de fer et à son travail acharné ; là encore, l’auteur ne manque pas de mettre en relief ses nombreux travers, à commencer par sa fâcheuse propension à la colère. Le prince Zumwalt, enfin, cet « ange du changement », qui fut l’homme de la révolution de l’US Navy durant ces quatre années comme Chief of Naval Operations (le plus jeune de l’histoire) de 1970 à 1974, et dont l’amiral Stavridis compare le mandat à celui du concile Vatican II dans l’Église catholique. Et, last but not least, c’est un amiral féminin qui clôt cette galerie de portraits : l’amiral Grace Hopper (dont un des destroyers de l’US Navy porte actuellement le nom), cette mathématicienne pionnière qui mit l’US Navy sur la voie de la numérisation en créant les conditions de l’émergence d’une « computer-based fleet » durant la guerre froide, et qui brille par son patriotisme, son sens du « mentoring » et sa loyauté.
Parmi tous ces portraits parfois opposés, se distingue une qualité centrale selon James Stavridis : la résilience, cette capacité à vaincre l’adversité et à se reconstruire pour avancer. Autrement dit, il s’agit de la volonté, ce « courage de la tête ». Un trait commun à tous ces grands destins où l’ombre côtoie la lumière. Tout au long de l’ouvrage, l’auteur donne par ailleurs corps aux « leçons de vie » qu’il tire de ces personnages en les raccrochant à des épisodes de sa propre carrière, depuis son commandement de destroyer jusqu’à son poste de commandant en chef de l’Otan, en passant par ses diverses affectations au Pentagone.
L’amiral Stavridis atteint son objectif en livrant à notre méditation ces dix parcours. On pourra juste trouver un peu longue la liste des dix qualités de chef qu’il commente en conclusion… mais sans doute est-ce un travers des grands chefs que de vouloir être exhaustif, alors qu’en réalité une telle énumération est impossible, tant est subjective la liste des moyens du leadership.
On lira en tout cas Sailing True North avec plaisir et grand profit, de la même manière que l’on a pu apprécier le récent ouvrage du général Bentégeat dressant le portrait de dix chefs d’État en guerre. Et l’on pourra regretter par la même occasion qu’il n’existe pas un équivalent en français de cette revue d’amiraux parfois très contemporains… Et pourtant, ce ne sont pas les exemples qui manquent, comme le suggèrent les noms choisis récemment pour les futures frégates de défense et d’intervention de la Marine nationale ! ♦