Du Sahara à l’Élysée – Mémoires d’un parachutiste
Du Sahara à l’Élysée – Mémoires d’un parachutiste
Après l’amiral Coldefy, un autre ancien directeur de la Revue Défense Nationale publie ses Mémoires, ce qui ne pourra que susciter l’intérêt des lecteurs de la RDN. Il s’agit du général Quesnot.
S’il est vrai que des Mémoires reflètent souvent la personnalité de leur auteur, alors, il est possible, à la lecture de ceux du général Quesnot, saint-cyrien de la promotion maréchal Bugeaud (1958-1960), d’affirmer que son tempérament repose sur trois piliers : une imagination débordante pouvant aller jusqu’à l’originalité ; un sens de la discipline formelle tout relatif, dans la mesure où, dès lors que le bien du service ou le succès des armes de la France, selon la formule consacrée, lui préféraient la désobéissance, le colonel ou le général Quesnot ne s’est jamais posé de problème métaphysique pour ne pas toujours obéir, le petit doigt sur la couture du pantalon, aux ordres reçus ; ainsi qu’un sens fort de la fidélité en amitié.
Mais avant d’analyser cette personnalité, riche et complexe, à travers son livre de Mémoires, il faut bien considérer que Christian Quesnot, c’est avant tout un régiment, le 17e Régiment du génie parachutiste (RGP). Il y a servi, dès sa sortie d’application, en 1961, jusqu’à la fin de son temps de commandement, en 1984. De sous-lieutenant à colonel, mis à part un séjour de deux ans dans le génie saharien, à Reggane, il y a effectué toutes ses affections en corps de troupe comme chef de section, capitaine commandant, chef du bureau opération instruction (BOI) et, consécration suprême, chef de corps. Jusqu’à sa démission de l’armée, en 1995, il s’est attaché à suivre « son » régiment et à avoir son mot à dire dans la carrière de ses officiers, voire dans la désignation du chef de corps.
L’imagination a toujours été, pour le général Quesnot, une sorte de seconde nature. Il en donne quelques exemples dans son ouvrage. À sa sortie de l’École de Guerre, il est affecté à l’EMAT où il ne tarde pas à rejoindre le bureau planification finances (BPF), alors dirigé par le colonel Furcy Houdet (qui terminera sa carrière général d’armée, commandant en chef des forces françaises en Allemagne). Constatant les défauts de fonctionnement internes de l’état-major, il propose à son chef de bureau de lancer et de réaliser un véritable audit de l’ensemble de l’EMAT. Ce qui fut fait, avalisé par le chef de BPF, qui l’emmène présenter les résultats de son étude au général Lagarde, chef d’état-major emblématique s’il en est, qui lui confie que, s’il approuve ses conclusions, même en mettant tout le poids de son autorité dans la balance, il ne parviendrait pas à réaliser 10 % de ce que lui propose le lieutenant-colonel Quesnot. Moyennant quoi, le BPF s’est retrouvé au cœur du système, ce dont ont profité tous les successeurs du général Houdet, le colonel Quesnot y compris, dix ans plus tard.
Mais, c’est au plan opérationnel que l’imagination du général Quesnot s’est révélée la plus payante. Chef de corps du 17e RGP, au Liban, fin 1983 – début 1984, il s’est rapidement rendu compte que les engins explosant au passage des convois français étaient activés par un simple jouet électronique d’enfant qui émettait sur une fréquence donnée. Pour ne pas donner le change, le colonel Quesnot de l’époque envoie un de ses sous-officiers jusqu’à Chypre pour acquérir quelques exemplaires de ce jouet. Il a ainsi pu monter dans une jeep banalisée un système déclenchant lui-même les engins explosifs en avance de phase par rapport à leurs commanditaires, et ce, à leur plus grand désappointement, bien évidemment. C’est ce que le colonel Quesnot appelait « l’ouverture de route électronique ». Il est ainsi rentré à Montauban avec un effectif complet, n’ayant eu à subir aucune perte à Beyrouth.
Enfin, ce que le général Quesnot ne rapporte pas dans ses Mémoires (mais que s’est empressé de raconter Jean Guisnel dans son ouvrage Les Généraux), c’est son arrivée à Strasbourg, où il avait été affecté comme chef d’état-major de la 1re Armée. Suité de l’ingénieur général de l’armement, « otage » de la DGA dans les forces, il a escaladé à mains nues, la flèche de la cathédrale. Cet exploit a dû faire les gorges chaudes du Landernau strasbourgeois. Plus sérieusement, le général Quesnot comptait bien mettre cette imagination débordante au service d’une réforme profonde des armées françaises, pour leur faire abandonner une partie de l’épaisse couche de conformisme qui les enserre comme un boa étreint sa proie avant de l’avaler, mais les circonstances ne l’ont pas voulu. Assurément, ce sera sûrement le grand regret de sa vie.
À propos de ce conformisme, s’il y en a un dont le général Quesnot s’est affranchi durant toute sa carrière, c’est bien celui de la discipline formelle, l’obéissance passive aux ordres reçus constituant sûrement le meilleur alibi de la paresse intellectuelle pour échapper à la grandeur de la discipline du même nom. Il en a donné maints exemples.
Nommé chef du BOI du 17e RGP, il y arrive en 1978 au moment où le chef de corps, un colonel doté d’un extraordinaire esprit de contradiction, y achevait son temps de commandement. Dès leur premier contact, les rapports furent exécrables (le colonel en question était capitaine commandant au 2e REP au moment du putsch de 1961, auquel il a activement participé, ce qui n’était pas de nature à le grandir aux yeux de son nouveau chef du BOI). Son commandant en second ne valait guère mieux, aux yeux du général Quesnot. Aussi, alors qu’un climat de confiance s’est rapidement installé avec le colonel Roquejoffre, le nouveau chef de corps, le lieutenant-colonel Quesnot a proposé à son colonel, purement et simplement, de débarquer son commandant en second.
Auparavant, pour se faire affecter au 17e RGP pour son temps de commandement de capitaine, sortant du brevet technique, effectué à l’École supérieure des ponts et chaussées, le capitaine Quesnot a usé du chantage des propositions alléchantes qui lui avaient été faites en sortie des Ponts, pour obtenir l’affectation visée.
Mais c’est comme chef de corps que cette indiscipline de forme a atteint son summum. Très affecté par la disparition de son commandant en second à Beyrouth, le lieutenant-colonel Sahler, promis à sa succession, mais tué par des éclats d’un obus d’artillerie, le colonel Quesnot brûlait de rejoindre avec son régiment la capitale libanaise où une de ses compagnies se trouvait déjà engagée. Mais c’était compter sans son commandant de division (le général B., comme indiqué dans l’ouvrage, sans le nommer. Il se trouve que ledit général était également un ancien du 2e REP, qu’il avait d’ailleurs commandé), farouchement opposé à la projection au Liban du 17e RGP et de son chef de corps (ce qu’il appelait avec morgue, « la bande à Quesnot »). Or, s’il entretenait les rapports les plus détestables qui soient avec son commandant de division, le colonel Quesnot en avait noué d’excellents avec le général Cann, commandant le Groupement aéroporté (GAP), sorte de brigade au sein de la 11e DP, regroupant les éléments professionnalisés. Et c’était justement le même général qui commandait les éléments français à Beyrouth. Ce qui devait arriver arriva, le général B. fut placé devant le fait accompli, et le colonel Quesnot désigné pour rejoindre Beyrouth. Le général Cann était intervenu directement auprès du Cema, le général Jeannou Lacaze, qui avait connu le colonel Quesnot, lorsqu’il commandait la DP.
Dans le même esprit, alors que, contre l’avis du Cemat, le général Forray, le ministre de la Défense Jean-Pierre Chevènement a confié le commandement d’une division au général Quesnot, celui-ci a conclu l’entrevue avec le Cemat qui s’en est ensuivie par cette phrase : « À votre place, j’aurais posé mon képi sur le bureau du ministre en le sommant de choisir entre vous et moi. » Le général Forray ne devait pas être habitué à ce ton, venant de la part d’un commandant de division.
Au-delà de ces traits de caractère, l’intérêt de l’ouvrage réside également dans le témoignage que donne le général Quesnot de ses fonctions de chef de l’État-major particulier du président de la République, poste fondamental dans l’organisation de la défense de la France, et unique en son genre au sein des grandes armées occidentales. Deux témoignages de première main ont une réelle valeur historique, le Rwanda et les Balkans.
S’agissant de l’intervention française au Rwanda, l’opération Turquoise, commandée par le général Lafourcade, le général Quesnot, démontre de façon irréfutable que les accusations de participation au génocide des Tutsis portées contre l’armée française sont sans fondement. Il ne s’agissait que d’une mission humanitaire d’une durée de deux mois, qui a d’ailleurs porté ses fruits. L’amalgame, insidieusement porté entre le fait que c’est la même armée qui, à plusieurs années d’intervalles, a fourni l’assistance militaire technique aux Forces armées rwandaises (FAR), alors en lutte contre le Front populaire patriotique regroupant l’ethnie tutsie (FPR) et celle qui a monté et exécuté Turquoise montre aisément la volonté de nuire d’un tel argumentaire. Mis en cause personnellement, le général Quesnot a d’ailleurs gagné le procès qu’il a intenté à ses détracteurs.
Concernant les Balkans, le général Quesnot montre bien l’occasion que les Européens ont loupée d’éteindre l’incendie yougoslave dans l’œuf, en faisant passer leurs intérêts nationaux avant l’intérêt commun. Il ne le dit pas, mais il vise ici l’Allemagne, nouvellement réunifiée, qui a joué aux apprentis-sorciers par sa reconnaissance prématurée autant qu’irraisonnée de l’indépendance croate. Dans son ouvrage Sarajevo 1995, le général Bachelet a écrit des pages très éclairantes à ce sujet. Le général Quesnot décrit ensuite ses efforts auprès du président Mitterrand pour une intervention militaire en Bosnie. À fort juste titre, il a des mots durs pour la stratégie d’interposition imposée par l’ONU à ses forces. Pour échapper à un engagement sous bannière de l’Otan, qu’il déplorait, le général Quesnot avait, l’été 1995, proposé une opération aéroportée française sur Sebrenica, opération dont il se proposait de prendre la tête. L’option ne fut pas retenue, et ce furent les accords de Dayton, du nom de la base américaine où ils furent signés.
Enfin, l’action du général Quesnot a souvent été conduite, comme indiqué plus haut, sous le signe de l’amitié. Mais il s’agit ici de ses ressorts intimes et il n’appartient pas au chroniqueur de les analyser. Le lecteur les découvrira, et les appréciera, au fil des pages. Il convient néanmoins de souligner une remarque qui en dit long. Le général Quesnot n’appréciait guère (et c’est un euphémisme) l’amiral Lanxade, son prédécesseur à l’EMP devenu Cema. Néanmoins, il marque sa désapprobation totale devant l’affront public que lui a infligé Jacques Chirac lors de l’affaire des otages à Sarajevo. Il aurait préféré une explication entre quatre yeux dans le bureau présidentiel. Il souligne à cet égard que c’est Alain Juppé, qui n’avait pourtant pas les yeux de Chimène pour le monde militaire (nouvel euphémisme), qui a dû calmer Chirac, en prenant la défense du Cema, si injustement humilié.
Bref, cet ouvrage répond à la curiosité d’un grand nombre de lecteurs intéressés tant par la relation des opérations d’un régiment parachutiste que par le témoignage d’un acteur politico-militaire de premier plan. À ce titre, au même titre que l’ouvrage du général Bentégeat qui vient de paraître, il constitue une brique pour l’histoire contemporaine des armées françaises, qui reste encore à écrire. ♦