Éloge de l’inégalité
Éloge de l’inégalité
« C’est le dévoiement de l’égalité qui oblige à faire l’éloge de l’inégalité avec la mesure qui y sied. » Telle est l’intention de Jean-Philippe Delsol avec cet essai au titre volontiers provocateur, comme Érasme en son temps avec son Éloge de la folie. C’est en effet face au constat de la perversion de la légitime égalité en droit en une douteuse égalité forcenée de tous avec tous que le président de l’Institut de recherches économiques et fiscales (Iref) entend montrer que « l’inégalité a ses mérites et toute sa valeur autant que l’égalité en diverses occasions ». Et le résultat de cette démonstration est un remarquable ouvrage à la croisée de la philosophie, de la politique, et des sciences économiques et sociales.
Au fil de onze chapitres bien charpentés, l’auteur, avant de faire l’éloge de l’inégalité, s’attache au premier chef à analyser la manière dont la saine égalité en droit – déjà théorisée par les Anciens – s’est progressivement transformée au cours de la période contemporaine en une égalité des conditions qui, sous couvert de bonnes intentions, contrarie la nature humaine de manière plus ou moins violente. Remontant aux Lumières, l’auteur montre comment Rousseau pervertit l’égalité en égalitarisme, puis comment l’égalité sacralisée est devenue l’inducteur des pires totalitarismes au XXe siècle, avant de laisser la place à une autre forme d’égalitarisme moderne qui dépasse désormais la sphère humaine en s’étendant aux animaux et à la « Terre mère ». Jean-Philippe Delsol s’attache en particulier à souligner les conséquences profondes de cette dérive sur le logiciel étatique français, qui par son haut degré de centralisation démultiplie les effets pervers de l’égalitarisme moderne, en particulier dans les champs économique et social. Considérant que « l’égalitarisme est toujours le propre des idéologues prêts à présenter comme des thèses scientifiques les conjectures qu’ils invoquent pour bases de leurs assertions », l’auteur démonte méthodiquement les théories des hérauts modernes de l’égalité défigurée.
Pour mieux cerner la place de la saine égalité, Jean-Philippe Delsol explore ses multiples facettes en la confrontant aux notions de liberté, de droit, de propriété et de justice. Dans cette mise en perspective parfaitement menée, les concepts s’ordonnent au fil des pages : égalité des chances, inégalité naturelle, formes de la justice, rapport de l’État à l’éducation, paradoxe de la liberté, etc. Le lecteur en ressort avec des idées nettes et le sentiment que l’État doit rester à sa juste place dès lors qu’il s’agit d’égalité.
Et qu’en est-il de l’inégalité dont le titre de l’ouvrage suggère les bienfaits ? D’emblée, l’auteur précise qu’elle n’est pas une vertu – pas plus que ne l’est l’égalité d’ailleurs – mais qu’elle ne saurait être vue comme une forme de désordre à éradiquer, bien au contraire. L’inégalité, conséquence de notre nature, est « nécessaire à l’épanouissement de chacun autant qu’au développement de la société ». Cette nécessité de l’inégalité, l’auteur la met en lumière dans l’ensemble des compartiments de la vie moderne, depuis l’éducation jusqu’au développement économique, en passant par la lutte contre la pauvreté. Sans verser dans le libéralisme débridé, il suggère avec toute la nuance nécessaire que la prise de conscience de cette inégalité, « souvent incomprise et parfois intolérable », constitue un appel à l’exercice par l’homme de sa liberté de manière responsable, sur une étroite ligne de crête entre l’hubris qui pousse à toujours vouloir plus et la médiocrité qui pousse à ne pas exploiter ses talents.
Jean-Philippe Delsol termine son ouvrage par un appel à une « égalité par le haut », à mille lieues de l’égalité des censeurs qui voudraient l’imposer au forceps sous couvert de bons sentiments. Cette égalité par le haut, c’est une égalité de créer et d’entreprendre, une égalité d’inquiétude devant le risque, la mort et la responsabilité. Une égalité dont la loi doit permettre le libre exercice.
Le lecteur de la Revue Défense Nationale, a fortiori s’il est lui-même militaire, pourra en refermant cette Éloge de l’inégalité se demander dans quelle mesure la petite société des forces armées, forte de ses spécificités, peut être sujette aux dérives décrites par l’auteur. Son mode de fonctionnement la préserve-t-elle des excès de l’égalitarisme et du poison de l’envie ? En première approche, son bagage génétique fait d’esprit de corps, d’uniformité, d’exigence et d’exposition commune au risque semble l’en préserver. Mais nul doute que les réflexions de Jean-Philippe Delsol pousseront le lecteur à aller plus loin. ♦