La Dissuasion nucléaire française en action. Le dictionnaire d’un récit national
La Dissuasion nucléaire française en action. Le dictionnaire d’un récit national
Philippe Wodka-Gallien poursuit avec ce dictionnaire son travail d’investigation et de recherche sur la dissuasion nucléaire et son histoire. Cet ouvrage est cette fois-ci consacré à la bombe française grâce à trois approches principales : le passé, autour de la construction progressive du projet national dont les racines puisent au désastre de mai-juin 1940 ; le présent avec les outils actuels garantissant notre sécurité selon le principe d’une juste suffisance et permettant à la France d’être un acteur crédible et donc respecté sur la scène internationale ; enfin, l’avenir, avec les projets en cours visant à préserver nos capacités et donc à protéger notre souveraineté en sauvegardant nos intérêts vitaux.
Les 485 pages de ce livre sont une mine d’informations et de renseignements sur une aventure scientifique et technologique, mais aussi politique et humaine. Ce dernier point a été essentiel avec, d’abord de grands savants comme la famille Curie et de grands commis de l’État comme Pierre Guillaumat, mais aussi des politiques comme Pierre Mendès France ou encore Edgar Faure. Mais c’est bien le général de Gaulle qui, à partir de 1958, assure la cohérence de la dissuasion française avec la mise en œuvre de toutes ses composantes dont les Forces aériennes stratégiques (FAS) qui prennent l’alerte à partir de 1964 avec le binôme Mirage IV et Boeing KC-135FR et la Force océanique stratégique (FOST) avec Le Redoutable lancé en 1967 et qui effectue sa première patrouille à partir de 1971. Le général de Gaulle avait déjà donné l’impulsion initiale en créant, le 18 octobre 1945, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) chargé dès le départ des recherches sur l’énergie atomique dans les « domaines de la science, de l’industrie et de la défense nationale ».
Cela signifie aujourd’hui une accumulation exceptionnelle d’expérience acquise, de savoir-faire entretenus, mais aussi la nécessité de toujours préparer l’avenir. En effet, même si le contexte stratégique qui a prévalu, lors de la montée en puissance de la dissuasion française, a profondément évolué avec la fin de la guerre froide et une diminution des moyens dans les années 2000 avec notamment la suppression des missiles du plateau d’Albion et des unités Hadès de l’Armée de terre, et la réduction du format de 6 à 4 SNLE, aujourd’hui, le concept conserve plus que jamais toute sa pertinence comme l’a rappelé le président Emmanuel Macron dans son discours du 7 février 2020 devant l’École de Guerre. Le retour du rapport de force et la remise en cause du multilatéralisme, associés à une nouvelle vague de prolifération renforcent notre besoin de protection et donc de dissuasion.
Le dictionnaire apporte ici des éclairages sur les pistes pour moderniser nos forces, en s’appuyant sur le principe de juste suffisance. L’objectif n’est pas d’accroître le quantitatif, mais le qualitatif en prenant en compte les obsolescences à venir des programmes actuels et les menaces pouvant affecter l’efficacité de nos systèmes.
Dans cette perspective, les outils de simulation jouent un rôle central avec une coopération étroite avec le Royaume-Uni suite au Traité de Lancaster House signé le 2 novembre 2010. Les prochaines étapes porteront sur le renouvellement des 4 SNLE-NG de la classe « Triomphant » par les SNLE 3G au cours de la décennie 2030. L’autre grand projet traitera du remplacement du missile ASMP-A entré en service à partir de 2019 par l’ASN4G à l’horizon 2030 en s’appuyant sur les travaux de recherche autour des statoréacteurs et de l’hypervélocité.
L’auteur aborde également les oppositions au nucléaire, car l’arme a été critiquée dès 1945 en raison de ses effets destructeurs assimilés à l’apocalypse. Il faut souligner ici que les opposants raisonnent davantage sur l’arme elle-même et ses effets que sur le fond du problème qui était hier la confrontation de la guerre froide, et est aujourd’hui la volonté de puissance. Ainsi, la Corée du Nord a réussi son pari engagé par Kim Il-sung dès les années 1960 avec initialement l’appui de l’URSS. Kim Jong-un, au pouvoir depuis 2011, dispose de l’outil garantissant la survie de son régime et paradoxalement on ne voit guère les ONG antinucléaires manifester à Pyongyang ou à Pékin. Il est en effet plus facile d’être opposant dans un État démocratique.
Parmi les 200 entrées du dictionnaire, il y a également les projets non aboutis et qui ont pourtant contribué à faire évoluer la dissuasion française. Il y a par exemple l’échec du sous-marin Q244 dont le programme est approuvé en 1954. Le niveau par nature des technologies de l’époque aboutit à l’arrêt du chantier à Cherbourg en 1958. Les leçons furent tirées de l’impasse du Q244, mais dont la coque fut récupérée pour construire le sous-marin d’essai Gymnote dont le rôle fut essentiel pour la mise au point des tubes de lancement des missiles des SNLE. Il y a aussi le Verdun, le super porte-avions qui devait avoir une longueur de 286 m (269 m pour le Charles-de-Gaulle) et qui est définitivement abandonné en 1971. On peut citer aussi Minerve avec des concepts surprenants comme une version militarisée du Concorde.
Ce dictionnaire arrive au bon moment pour rappeler que la dissuasion française est une aventure exceptionnelle qui contribue directement à la sécurité de notre pays et de ses intérêts vitaux. Avec une dimension européenne de plus en plus importante, alors même que l’Union européenne prend peu à peu conscience de sa faiblesse stratégique. Plus que jamais, dans un monde où les tensions géopolitiques ne cessent de s’accroître – y compris avec la pandémie de la Covid-19 – notre pays peut compter sur une dissuasion efficace et crédible, résultante de soixante-quinze ans d’efforts et d’une volonté politique forte, indispensable. La dissuasion nucléaire a été et reste constitutive de la Ve République. ♦