Le 1er Bataillon de Zouaves de Louisiane
Le 1er Bataillon de Zouaves de Louisiane
On ignore, à l’exception de quelques rares spécialistes, que des Français combattirent aux côtés des Sudistes lors de la guerre de Sécession aux États-Unis (1861-1865). Le livre du lieutenant-colonel de Morzadec vient heureusement mettre fin à cette ignorance. En effet le 1er Bataillon de Zouaves de Louisiane, s’il n’appartient pas à l’Armée française, est essentiellement composé de Français dont plusieurs zouaves anciens des campagnes du Second Empire, Crimée en particulier. La cession de la Louisiane aux États-Unis par Napoléon ne remonte qu’à un demi-siècle et les Français composent encore la majorité de la population. Aussi, lorsque la Louisiane entre en dissidence, le 26 janvier 1861, un mois après la Caroline du Sud, il n’est pas étonnant que de nombreux Français se portent volontaires pour rejoindre le 1er Bataillon de Zouaves de la Louisiane que sont en train de mettre sur pied les quatre frères de Coppens, Français venus de la Martinique. Malgré l’opposition du gouverneur Moore, jaloux de leur succès, le président des États confédérés, Jefferson Davis, donne son agrément à l’intégration du Bataillon au sein de l’Armée confédérée.
En mai, après une sévère sélection effectuée plus sur la musculature que sur la moralité, l’unité aligne 6 compagnies et 600 hommes. Elle est commandée par le lieutenant-colonel de Coppens, deux de ses frères y sont officiers et le troisième est homme du rang.
Le 1er juin, c’est le départ pour la Virginie. Le capitaine De Leon, aide de camp du président Davis, assiste à l’embarquement dans les wagons du train spécial, après six jours d’attente au milieu d’autres unités confédérées : « Ce sont de splendides guerriers… à la peau hâlée par le soleil, musculeux et fougueux comme des Arabes… Mais les visages sont fermés et brutaux. Dans l’aube grise, 600 zouaves assaillirent le train et se battirent pour les meilleures places, exhibant leur Bowie Knife et faisant jouer leurs muscles… Certains, [issus] des bas quartiers de la Nouvelle-Orléans, n’avaient qu’une vague idée de ce qui différenciait le tien du mien et leurs querelles intestines se réglaient d’ordinaire à coups de ceinturon ou de couteau. Tous les ordres étaient donnés en français, la langue natale de presque tous les officiers et de la plupart d’entre eux. En cas d’insubordination, les officiers n’hésitaient pas à user librement de leur revolver. Le six-coups est en effet un remarquable “pacificateur” ». Le trajet sera émaillé de nombreux incidents. À Garland, les zouaves détachèrent le wagon de queue où étaient les officiers et s’emparent du train qu’ils conduisent jusqu’à Montgomery où ils sont arrêtés. Ils descendent alors dans la ville et pillent les débits de boissons. Quelques heures plus tard, les officiers arrivent et rétablissent l’ordre à coups de poings et de pistolet…
La troupe est consignée dans le train, sous la surveillance des officiers, et un zouave sera abattu pour avoir enfreint la consigne. Le 7 juin, le train arrive à Richmond, la capitale des Confédérés, où une cour martiale attend les mutins, ce qui n’empêche pas quelques incidents dans les bars de la ville mais, le 10 juin, c’est l’embarquement pour Yorktown.
Et le 23 juillet, Coppens peut écrire au secrétaire d’État à la Guerre : « Depuis que 20 mutins et fauteurs de troubles ont été sanctionnés par la Cour martiale, le bataillon a restauré sa réputation et a reçu les félicitations du commandement à Yorktown pour le parfait accomplissement de ses missions et je suis confiant en l’avenir. »
Et l’avenir va lui donner raison. En juillet 1861, c’est la victoire sudiste de Manassas, suivie d’une importante réorganisation dans les deux camps. On retrouve les zouaves à la bataille de Williamsburg, en mai 1862, où ils sont décrits par un témoin comme « une troupe haineuse et démoniaque ». Ce sont ensuite les batailles de Seven Pines et Fair Oakes où, malgré la victoire, les zouaves essuient des pertes sévères, mais sont félicités en la personne de Coppens pour leur belle conduite au feu.
Lors de la bataille de Gaines’s Mill, ils sont intégrés à la brigade du général Longstreet. Ce dernier relate leur participation : « Avec des hurlements terrifiants, nos braves se ruèrent vers le bas de la colline, talonnant l’ennemi à la pointe de leurs baïonnettes. Au débouché des bois, ils furent accueillis par des tirs de fusils et d’artillerie de la seconde ligne yankee, malgré lesquels ils chassèrent l’ennemi, capturant son artillerie. […] Les zouaves et les chasseurs, engagés tout au long de l’action, firent preuve de courage, de ténacité et d’une loyauté dignes d’éloges. Ils rivalisèrent avec les meilleures troupes de la Confédération et se montrèrent dignes de leurs aïeux français ».
Les combats et les succès sudistes se succèdent, mais les Confédérés sont épuisés et leurs effectifs fondent faute des ressources humaines dont les Nordistes, eux, ne manquent pas.
Le 6 septembre 1862, à Antietam, le valeureux chef des zouaves, le colonel de Coppens, récemment promu, est tué alors qu’il monte à l’assaut. C’est son frère, le lieutenant-colonel Alfred de Coppens qui commande désormais le Bataillon des Zouaves de Louisiane qui est réduit à un effectif de… 17 hommes ! La traversée du Potomac en septembre et le retour en Virginie, après l’échec du Maryland, est l’occasion de se réorganiser. Malgré une campagne de recrutement en décembre, le Bataillon ne compte que 50 hommes.
Les zouaves sont alors affectés à la défense de Richmond, sous les ordres du général Colston. Le 8 janvier 1863, le général Pryor, qui commande la Virginie du Sud, demande le rattachement des zouaves à son secteur. Sa requête est transmise à l’état-major par Colston avec l’avis suivant : « Les zouaves remplissent toujours remarquablement leurs missions, et ils pourront être très utiles sur la rivière Blackwater [ligne de démarcation entre les deux camps]. Le général Pryor les réclame de toute urgence et je suis certain que s’ils lui sont confiés, ils feront merveille. »
En avril, c’est le siège puis l’investissement de la ville de Suffolk qui menaçait Richmond et la mainmise sur un stock important de vivres, d’armes et de munitions.
Le 13 juin 1863, les Fédérés tentent de franchir la Blackwater, mais sont vigoureusement repoussés malgré l’infériorité en nombre des Confédérés. Le compte rendu du général Hill est éloquent : « Ce fait d’armes exceptionnel est tout à la gloire des Français. » Coppens se rend alors en Louisiane avec ses hommes pour une nouvelle campagne de recrutement et prendre une permission bien méritée. En décembre 1863, c’est le retour sur la Blackwater. À part un gros accrochage, le 29 janvier 1864, les zouaves se livrent à de petites escarmouches. Le 1er juin 1864, ils sont affectés à la défense de la voie ferrée qui relie Richmond au port de Wilmington. En août, le colonel de Coppens est hospitalisé suite à de vieilles blessures reçues au combat et il est réformé. C’est le commandant de Bordenave qui lui succède à la tête du bataillon qui ne compte plus que 11 officiers et 41 hommes. Le dernier combat des zouaves a lieu, les 9 et 10 décembre, à Hicksford dont la gare est attaquée dans le but de couper la voie ferrée. Elle le sera sur 6 kilomètres, mais les Bleus sont repoussés après de farouches combats où les zouaves s’illustreront à nouveau.
Le 9 avril 1865, après la bataille d’Appomatox, le général Lee signe la capitulation qui marque quasiment la fin de la guerre de Sécession.
Le lieutenant-colonel de Coppens, rentré à La Nouvelle-Orléans, repartira en France en 1870 « où il combattra les Prussiens sous les ordres d’un ancien général confédéré, le général de division Camille de Polignac » : le monde est petit…
Avec la minutie d’un historien militaire, le lieutenant-colonel de Morzadec nous fait revivre dans le détail les différentes phases de la lutte des Sudistes pour leur indépendance. Malgré une cartographie assez difficile à exploiter, on apprend beaucoup sur cette guerre fratricide et l’on peut légitimement être fier de l’excellente tenue au feu de ces soldats français. Merci à l’auteur de nous avoir révélé cet épisode peu connu de « notre » histoire militaire. ♦