The New Battle for the Atlantic—Emerging Naval Competition with Russia in the Far North
The New Battle for the Atlantic—Emerging Naval Competition with Russia in the Far North
En 2020, sommes-nous entrés dans une quatrième bataille de l’Atlantique ? Pour Magnus Nordenman, expert en affaires navales, cela ne fait aucun doute, et nous assistons depuis le milieu des années 2010 à une nouvelle compétition qui s’inscrit à la suite des deux guerres mondiales et de la guerre froide, durant lesquelles l’Atlantique Nord fut le théâtre d’une intense lutte pour la liberté de pouvoir y manœuvrer afin de mieux conquérir des objectifs terrestres. Mais, loin d’être une simple redite des tensions de la guerre froide entre la Russie et les forces de l’Otan, cette « nouvelle bataille pour l’Atlantique » doit se comprendre dans un contexte renouvelé où les continuités se mêlent aux ruptures.
Au registre des continuités, le directeur de l’Initiative de sécurité transatlantique commence par mettre en avant la valeur stratégique de l’Atlantique Nord dans l’histoire du XXe siècle. Vaste zone, et qui le restera pour le siècle qui s’ouvre malgré la tendance à la compression des distances, cet espace servant de pont entre l’Amérique du Nord et l’Europe se distingue par l’importance relative des points d’appui terrestres pour y baser des moyens d’action navale (bâtiments, avions de patrouille maritime, sous-marins et systèmes d’écoute), ainsi que par la nécessité d’une coopération entre alliés maritimes pour y emporter la décision. Sur le plan opérationnel, les trois batailles de l’Atlantique soulignent invariablement la singularité de l’effort de lutte anti-sous-marine (ASM), qui exige patience, obstination et audace technologique… et qui ne se limite pas à couler des sous-marins, cet aspect purement comptable n’étant qu’un critère finalement secondaire du succès. Tous ces facteurs sont toujours à l’œuvre à l’aube du XXIe siècle, avec parmi eux une emphase renouvelée sur l’avance technologique ASM comme facteur de supériorité.
S’agissant des nouveautés, les entrées sont nombreuses, et bien mal avisé celui qui se bornerait à théoriser un simple retour de la guerre froide du siècle passé dans cette zone de compétition avec la Russie. Pour en convaincre le lecteur, Magnus Nordenman s’attache tout d’abord à analyser en profondeur la genèse de cette nouvelle bataille pour l’Atlantique, en montrant comment, un quart de siècle après la fin de la guerre froide, les deux grands acteurs de ce nouvel affrontement ont fondamentalement changé de posture. D’un côté, une Russie qui sort exsangue de la guerre froide, balayée des mers et durement marquée par de graves échecs (au premier rang desquels l’accident tragique du Kursk), et qui, au tournant du siècle, passe progressivement d’une situation d’effacement sur fond de coopération docile à une posture d’affirmation conquérante et révisionniste ; alliant les avantages comparatifs de son héritage soviétique (savoir-faire sous-marin notamment) avec une approche renouvelée à base de frappes par missiles de croisière (visant potentiellement les ports européens), de dispositifs anti-accès (qu’ils soient soft comme en Baltique ou en mer Noire, ou hard comme en péninsule de Kola) et de moyens hybrides (menaces contre les réseaux de câbles sous-marins, brouillage contre les signaux de navigation, etc.), la Russie moderne pose un défi résolument nouveau à l’Occident. De l’autre, une Alliance qui s’est étendue à l’Est et qui s’est profondément diversifiée au lendemain de la guerre froide, tant dans ses moyens que dans ses missions, remettant en cause par la même occasion les formats et les finalités des marines de ses membres, l’attention des alliés se concentrant à partir des années 2000 sur le bas de l’éventail des missions militaires (lutte contre la piraterie et le terrorisme) et sur la coopération internationale ; il en résulte un regroupement d’alliés aux vocations maritimes très hétérogènes (et parfois inexistantes), dont le sursaut capacitaire et opérationnel sera d’autant plus rude à conduire à partir de 2016, année de la prise de conscience du retour de la compétition face aux niveaux sans précédent d’activité navale russe en Atlantique Nord depuis la fin de la guerre froide.
Mais le principal glissement en ce début de XXIe siècle est, selon l’auteur, le changement de contexte stratégique en Atlantique Nord, espace devenu désormais une zone d’intérêt pour des nations lointaines, au premier chef la Chine dont l’ambition arctique en fait un acteur dans de nombreux dossiers tels que le Groenland, l’Islande, les îles Svalbard, etc. S’y ajoute la fragmentation liée à la volonté d’indépendance de certaines entités hier arrimées à des blocs (Écosse, Groenland, Svalbard) et qui demain pourrait rebattre les cartes du rapport de force en cas de moindre solidarité. S’y ajoutent les enjeux énergétiques dans le Grand Nord, bien plus importants aujourd’hui qu’ils ne l’étaient au temps de la guerre froide. Et s’y ajoute enfin les pratiques de guerre hybride de certains acteurs qui viennent singulièrement compliquer la lecture de la conflictualité dans cette région. Au total, lire la nouvelle bataille de l’Atlantique en chaussant les lunettes du passé est donc un écueil.
Ayant posé ces constats, Magnus Nordenman regrette toutefois que l’Atlantique Nord ne soit pas considéré à sa juste valeur stratégique, c’est-à-dire avant tout comme trait d’union entre l’Amérique du Nord et l’Europe, qui ont plus que jamais partie liée. Cela est source, selon l’auteur, d’une grande « confusion stratégique » en raison de l’analyse du jeu des acteurs par le prisme aujourd’hui trop exclusif de l’Arctique. Car, malgré l’incontestable centralité de l’Arctique dans les problématiques de l’énergie, de l’environnement et de la modification du tracé des routes commerciales, cette région n’en demeure pas moins secondaire dès lors qu’il s’agit de comprendre les comportements des acteurs en termes de défense (les actions russes en Arctique relevant essentiellement, selon l’auteur, du domaine légitime des garde-côtes). Ce faisant, la clé de voûte du système sécuritaire russe pour peser dans l’Atlantique et y contrarier l’action alliée, c’est-à-dire la péninsule de Kola, passe malheureusement au second plan. Et cette relative cécité pourrait pousser à de mauvaises décisions sur le plan naval.
Finalement, dans cette nouvelle bataille navale qui s’ouvre, que faire ? À cette question, l’ancien émigré suédois, devenu récemment américain, apporte quatre grands axes de réponse. Tout d’abord, replacer l’Atlantique Nord et le combat naval au centre des préoccupations de l’Otan, comme l’illustre d’ores et déjà la remise en place d’un commandement allié pour l’Atlantique et la résurrection de la 2e flotte de l’US Navy. Ensuite, tirer les conséquences de l’internationalisation des intérêts de cette région, en ajustant les alliances au-delà des seules nations riveraines et en cherchant la division du travail entre alliés. En parallèle, et dans la lignée de l’exercice Trident Juncture 2018 , opérer plus régulièrement dans le Grand Nord pour y contester le libre usage de l’environnement à la Russie, en allant jusqu’à envisager une menace directe sur le bastion russe pour dissuader sur son flanc maritime une Russie qui pourrait être aventureuse en Europe de l’Est en tentant une conquête risquée pour les alliés. Enfin, se préparer à opérer dans un Atlantique Nord toujours plus peuplé et sujet au comportement hybride des acteurs.
L’auteur achève cet ouvrage percutant en estimant que « the fourth battle of the Atlantic can be won, and peace in Europe can be maintained through deterrence on land, in the air, in cyberspace, and at sea ». D’accord ou pas avec cet avis, le lecteur sortira en tout cas grandi de la fréquentation de la pensée claire et précise de Magnus Nordenman. ♦