Churchill et la France
Churchill et la France
La France a toujours tenu une place particulière dans la vie et l’imaginaire de Winston Churchill, ainsi que nous le rappelle Christian Destremau dans un ouvrage qui a le mérite d’en analyser toute la complexité.
Plutôt germanophile au début de sa carrière politique, il défendit depuis les années 1910 la cause de la France auprès de ses compatriotes. Si en 1901, en tant que parlementaire, il s’oppose encore à l’augmentation du budget de l’armée de terre britannique en déclarant : « La seule arme avec laquelle nous pouvons affronter les autres grandes nations est la Navy », l’Entente cordiale avec la France constitue bientôt pour lui un moment historique car « elle marque [relève Destremau] la fin d’un principe de base de la politique étrangère britannique : pas d’alliances écrites avec un État européen ».
En 1907, Churchill est l’invité de l’Armée de terre française à l’occasion des grandes manœuvres. À son retour, il loue le réalisme des évolutions des Français sur le terrain, qui contrastent avec les manœuvres allemandes de l’année précédente en Silésie, où il était aussi présent, et dont le caractère artificiel les faisait ressembler à ses yeux à une grande revue militaire.
En août 1914, Churchill fait partie des va-t-en-guerre du Cabinet britannique et joue un rôle capital dans le déclenchement de la guerre. Destremau relativise à cet égard le casus belli que représentait l’invasion de la Belgique pour la Grande-Bretagne. Pour Churchill, qui bouillait d’entrer en guerre de toute façon, il ne s’agissait que d’un prétexte, mais un prétexte aux conséquences incalculables. Face à un Cabinet divisé, son intervention fut capitale. Il en fut de même d’ailleurs en 1939…
Pendant tout le conflit, il sera marqué par le professionnalisme des officiers français. En 1914, deux figures militaires françaises émergent déjà aux yeux de Churchill : Lanrezac et Gallieni. La victoire de la Marne le marquera aussi profondément. Face aux pertes du mois d’août, la solidité du soldat français dans l’adversité fera ainsi l’objet de son admiration. Ce qui ensuite rendra plus difficile son acceptation de la défaite de 1940…
Dans les années 1920, face à son ancienne alliée redevenue la puissance européenne dominante et dotée d’une armée considérée comme la meilleure du monde, la Grande-Bretagne connaîtra une vague de francophobie importante. Churchill reviendra alors à la « tradition historique » britannique, que nous avons évoquée plus haut, et expliquera : « Nous avons été en toutes occasions l’ami de la deuxième puissance en Europe et n’avons jamais accepté de céder à la première. […] C’est ainsi qu’Elisabeth résista à Philippe II d’Espagne. De même pour Guillaume et Marlborough face à Louis XIV. C’est ainsi, aussi, que Pitt résista à Napoléon ».
Dans la décennie suivante, Winston Churchill est choqué par l’instabilité parlementaire française qui fait le jeu des milieux britanniques pro-allemands. Son attitude se durcit brusquement en 1938 après les Accords de Munich. Déçu par la France, à qui il reproche d’avoir laissé tomber la Tchécoslovaquie, il se tourne alors ouvertement vers les peuples anglo-saxons, vers le « Grand large » qu’il évoquera plus tard.
L’année 1940 sera celle des épreuves, Dunkerque d’abord même si la décision de rapatrier le corps expéditionnaire britannique est prise par son commandant, Lord Gort. Churchill, « tiraillé entre ses sentiments d’amitié pour la France, sa fidélité à l’alliance, et les pressions qu’il subit de la part de ses généraux », finira toutefois par l’entériner. Il est l’auteur d’un projet d’union franco-britannique en date du 16 juin 1940 auquel personne ne croit vraiment.
De Gaulle, envoyé à Londres le 9 juin 1940 afin de réclamer l’envoi en France de tous les escadrons de chasse de la RAF pour aider l’armée française en difficulté, rencontre Churchill et se heurte au refus de ce dernier. De Gaulle lui avoue malgré tout approuver sa décision. « Ce 9 juin, relève Destremau, le futur chef de la France libre a, dans une certaine mesure, commis son premier acte de dissident. » Churchill n’hésitera jamais en effet tout au long de sa carrière politique « à accepter le rôle de celui qui doit annoncer les mauvaises nouvelles ; c’est en fait, à ses yeux, l’épreuve suprême, celle à l’aune de laquelle on juge les vrais hommes et les grands peuples ». Le 2 juillet 1940, le bombardement de la flotte française à Mers el-Kébir, dont Churchill est le principal responsable, sert à ses yeux à montrer au monde la détermination britannique à continuer la guerre.
Finalement, conclut Christian Destremau, « sur le plan personnel, ce qui différencie Churchill de la plupart de ses collègues, en tout cas dans les milieux conservateurs, ce n’est pas sa francophilie exacerbée, mais plutôt un sentiment permanent d’insécurité, qui est la conséquence d’une certaine fragilité… ». Ce trait de caractère permettrait ainsi d’expliquer un certain nombre de décisions politiques ou militaires manquant quelque peu de cohérence. ♦