L’utilisation de l’espace a toujours été conditionnée par des confrontations stratégiques. Depuis les années 1990-2000, il y a eu une bascule, l’occupation des orbites devenant essentielle pour y déployer des infrastructures satellitaires autour de l’information. Les rivalités, ainsi exacerbées, obligent à repenser un nouvel ordre spatial complexe où les acteurs sont interdépendants.
L’espace, domaine de confrontation stratégique
Space: Field of Strategic Confrontation
The use of space has always been conditioned by strategic confrontation. Since the nineteen-nineties there has been a significant change: occupation of orbits has become essential in order to deploy information satellite infrastructure in them. The rivalry that this has exacerbated is leading to a rethink of a new, complex order in space in which the players are interdependent.
Dès lors qu’ils ont été accessibles à l’Homme, il est peu de milieux qui n’aient fait l’objet d’une occupation soutenue ouvrant la voie à une utilisation parfois intensive. On pense bien sûr en priorité au milieu terrestre, objet de toutes les conquêtes et de toutes les exploitations au cours des siècles. Mais les domaines maritimes et aériens viennent aussi à l’esprit. Longtemps vastes étendues inhabitées, les océans sont désormais porteurs de l’essentiel du commerce mondial actuel (1) et l’on a tous à l’esprit l’incroyable développement du voyage aérien en moins d’un siècle. La concurrence a parfois fait basculer la préférence du train vers celle de l’avion, y compris pour de courtes distances, avec d’ailleurs de nombreuses conséquences sur l’aménagement des vies et des territoires pour beaucoup de pays. Seule, la pandémie actuelle semble avoir mis un coup d’arrêt à cet usage effréné.
Depuis les premières tentatives d’y accéder il y a plus de soixante ans, l’espace extra-atmosphérique n’a pas connu le même essor. Il se caractérise d’abord comme un milieu très hostile et par une difficulté d’accès et d’usage qui n’existe pas ailleurs (exception faite des grands fonds marins dont l’exploitation reste problématique). Immédiatement, cette difficulté propre à l’espace s’est avérée fortement discriminante, n’autorisant qu’un club très restreint de pays technologiquement avancés, financièrement puissants et politiquement dominants à l’investir. En conséquence, l’espace a longtemps été dominé par les deux grandes puissances en concurrence pendant l’après-guerre, les États-Unis et l’Union soviétique. Dès les premiers envois de satellites, l’espace devenait immédiatement le champ d’une véritable confrontation stratégique. Pour ces deux puissances, il était même né de leur nouveau face-à-face stratégique. Dès les années 1950, deux nouvelles technologies militaires clés allaient alimenter cette confrontation : l’invention du missile balistique à longue portée (inaugurée par les sinistres V-2 allemands), et celle de l’arme atomique qui a marqué la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui structurera la guerre froide. Ces armes changent la donne, font imaginer un conflit possible au plan planétaire et donnent naissance à des priorités défensives nouvelles pour éviter l’anéantissement mutuel. L’utilisation de l’espace trouvera une place de premier rang dans ce nouvel agencement. Les satellites étaient nés et avec eux la possibilité pour les protagonistes de se surveiller en permanence dans ce contexte anxiogène (2). L’observation des bases adverses, l’écoute des télécommunications les plus stratégiques, la surveillance des essais nucléaires, et surtout la capacité à détecter tout tir de missile intercontinental, représenteront la contribution essentielle des systèmes spatiaux pour « gérer » cette nouvelle situation mondiale.
Un environnement stratégique historiquement stable
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