Editorial
Éditorial
Étrange année que 2020 ! Elle aura été marquée à la fois par son imprévisibilité incarnée par la pandémie de la Covid-19 et par la confirmation des fractures du monde avec l’accroissement des tensions et des rivalités géopolitiques. La liste des inquiétudes est hélas trop longue entre crises sanitaires, économiques, sociales et stratégiques où certains États ont délibérément jeté de l’huile sur le feu, comme la Turquie en Méditerranée orientale ou la Chine réécrivant l’histoire du coronavirus pour se disculper. Le repli sur soi et la tentation nationaliste renforcée par des surenchères populistes ont émaillé cette année passée comme la minimisation de la maladie par le Brésil ou par la campagne électorale aux États-Unis où le Président sortant est allé de protestations en dénégations.
Sur le plan opérationnel, les théâtres sont restés actifs avec – et c’est tant mieux – un recul de Daech au Levant et des groupes armés terroristes au Sahel grâce à Barkhane et à la coalition du G5 Sahel. Certes, la solution reste d’ordre politique, mais les coups portés à ces entités islamistes sont essentiels pour déboucher sur une esquisse de règlement du conflit. À ces satisfecit, d’autres lieux de confrontation se sont réveillés comme au Haut-Karabagh où la défaite de l’Arménie face à l’Azerbaïdjan a révélé une bataille de haute intensité avec la mise en œuvre de moyens low cost de la guerre de demain, comme l’emploi massif des drones. Une campagne à étudier de très près, car elle préfigure les engagements du futur avec des adversaires de mieux en mieux organisés et tirant profit des technologies de l’information.
2020 a cependant permis un timide réveil de l’Europe et la prise de conscience de sa vulnérabilité stratégique dans de nombreux domaines dont la santé, le numérique et la défense. Même si l’élection de Joe Biden rouvre une nouvelle période de dialogue plus apaisé avec Washington, les Européens commencent à comprendre qu’ils sont trop dépendants dans tous les domaines et qu’il convient de redresser la barre tant face aux États-Unis et notamment les GAFAM sur les données, enjeux essentiels de l’économie du futur, que face à la Chine dont le projet impérialiste, remettant en cause les normes construites depuis des décennies, doit désormais être pris en compte au-delà de l’appétence pour un marché économique certes colossal, mais qui n’est plus l’Eldorado d’hier. La mainmise définitive sur Hong Kong doit faire réfléchir, de même que l’agressivité diplomatique envers des États comme l’Australie trop dépendante économiquement désormais de Pékin.
2021 s’ouvre donc sur un nouveau cycle avec la mise en place de l’Administration Biden. Pour l’Europe, c’est une opportunité, mais aussi un risque de retourner à une certaine léthargie stratégique en considérant que l’amélioration du dialogue avec Washington dans sa forme suffira à occulter le fond, c’est-à-dire le besoin de renforcer une souveraineté européenne plus crédible. Le débat est ouvert, mais il risque d’être très vite refermé avec la campagne électorale allemande pour la succession de la chancelière Angela Merkel à l’automne, les conséquences désormais concrètes du Brexit et le début de la campagne présidentielle française à la rentrée de septembre. La politique intérieure risque donc de dominer les débats dans les pays de l’Union européenne, laissant hélas le champ libre à d’autres États aux ambitions géopolitiques clairement affichées. ♦