Ceux qui connaissent l'auteur reconnaîtront son style direct, parfois même très vif, qui a le grand avantage d'une parfaite clarté. Derrière cette apparence un peu tranchante, il y a le Directeur du Centre d'études germaniques de l'Université des sciences juridiques, politiques, sociales et de technologie de Strasbourg, auteur de plusieurs ouvrages sur l'Allemagne, un de nos meilleurs spécialistes de ce monde d'outre-Rhin que le Français a bien du mal à pénétrer dans sa réalité profonde, en particulier celle qui est constituée par la nature limitée de la souveraineté allemande actuelle, les courants pacifistes et neutralistes dont nous avons eu récemment une manifestation éclatante. Nous sommes toujours surpris, en France, par un certain caractère excessif des réactions et des idées de nos voisins de l'Est, mais n'avons-nous pas des leçons à en tirer pour nous-mêmes ?
Pacifisme et neutralisme en Allemagne fédérale aujourd'hui
Depuis des années, il n’est pas de bon ton, quand on aborde les problèmes de la RFA, de parler de neutralisme. Lorsqu’en novembre 1973, dans cette revue même, je m’étais permis d’attirer l’attention sur la tentation neutraliste du Chancelier d’alors Willy Brandt, de son entourage (Egon Bahr et Walter Scheel) et de ses amis Palme et Kreisky, je reçus de la part de certains une belle volée de bois vert (1). Et pourtant… Politologues, diplomates, stratèges et plus encore journalistes ont, il est vrai, ces dernières années, un peu trop facilement oublié les leçons de l’histoire. Le rétablissement de l’unité de la nation allemande, la liquidation des séquelles de la guerre et de l’hitlérisme, tels sont depuis 1949 les objectifs de la politique allemande. Certes, on dit en général à Bonn qu’il faut d’abord solidement arrimer la RFA à l’Occident, mais on n’a jamais cessé aussi de faire comprendre que si elle le voulait et moyennant certains risques, l’Allemagne pourrait reconstituer son unité sans passer par l’Europe. Pour certains, c’était même en toutes lettres dans le discours d’investiture du Chancelier Brandt de janvier 1973 (2). Le futur Bundespräsident Scheel, alors Vice-Chancelier et ministre des Affaires Étrangères, n’avait-il pas écrit dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung :
« Il s’agit de se laisser gouverner par des institutions communes, l’Ostpolitik est l’aboutissement logique de l’Europe de l’Atlantique à l’Oural » (3).
Comme vient de le rappeler fort opportunément Alfred Grosser (4), il y a permanence d’un mouvement fort ancien. Il a en effet débuté le 1er septembre 1948, dès la première réunion du Conseil Parlementaire, par la déclaration de Carlo Schmid rappelant que « le Parlement a pour mission d’organiser lui-même l’exercice de sa souveraineté dans la partie de l’Allemagne où le peuple allemand peut exercer ce droit dans une liberté… au moins relative. Mais c’est dans l’intérêt de l’Allemagne toute entière (souligné par nous) que nous travaillons ici » (5). C’est ce Conseil parlementaire qui adoptera la Loi fondamentale dont l’article 23 inclut Berlin parmi les Länder de la RFA, ce que les Alliés ont aussitôt refusé. Durant toute cette période et jusqu’à aujourd’hui encore, l’Allemagne divisée ne dispose que d’une souveraineté limitée.
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