La neutralité politique des armées est inscrite dans la loi. Cependant, dans la conjoncture actuelle, on ne saurait parler de politique de défense de la France sans faire référence aux options des hommes qui se trouvent maintenant au pouvoir. Ainsi, l’action menée par un « parti », ce qui est bien du domaine interdit aux militaires, rejoint-elle la grande politique, celle qui est la conduite de la nation, de par la nature même du socialisme français. C’est ce qui justifie les réflexions qui vont suivre.
Le problème ainsi posé va probablement beaucoup plus loin. Sans pour autant accepter toutes les idées de Max Weber dans son Politik als Berulf (Le savant et le politique, Édition Plon), on peut penser que tout dialogue entre un militaire et un membre de parti politique relève d’une confrontation entre les partisans de deux éthiques, celle de la responsabilité et celle de la conviction. Le premier « estimera ne pas pouvoir se décharger sur les autres des conséquences de sa propre action pour autant qu’il aura pu les prévoir ». L’autre, par contre, « ne se sentira responsable que de veiller sur la flamme de la pure doctrine afin qu’elle ne s’éteigne pas ». Ces deux éthiques peuvent cependant ne pas être en contradiction mais se compléter l’une l’autre si les deux côtés ont le même dévouement pour ce qui doit dominer leur débat, l’intérêt national.
La définition d’une politique militaire n’est pas une tâche dont on se débarrasse en quelques phrases. Et s’il apparaît que quelques mots, tels ceux dont le général de Gaulle avait le secret, suffisent à condenser le problème et sa solution, ce ne peut être que la présentation, en forme d’œuvre d’art, d’une réflexion profonde appuyée sur des études d’une extrême complexité. De cette complexité, le motif le plus apparent est le rôle croissant des techniques, qui créent sans cesse des instruments inattendus. Mais les techniques prolifiques ne sont elles-mêmes qu’éléments de l’imperméabilité de l’avenir. Il faut être moderne pour prétendre modeler les temps futurs. Il faut, pour parler comme nos grands-mères, ne croire à rien : n’est-ce pas se mettre à la place des dieux ? Ayant osé ce saut métaphysique, le démiurge se retrouve bien empêtré. La politique, et militaire de surcroît, n’est pas un système clos. Elle ne se définit que par rapport à un univers autre, et largement hostile. Univers non de nature, mais d’humanité, et ce qui peut germer dans l’esprit d’hommes modernes, c’est-à-dire libérés des antiques barrières qui bornaient la pensée des anciens, est proprement effrayant. Est-ce trop schématiser que d’attribuer aux méditations d’un économiste allemand, exilé dans une île étrangère, le partage actuel de la planète en deux mondes incommunicables, la croissance, le développement et l’incompréhensible durée des utopies vécues que sont l’URSS et la République Populaire de Chine, et enfin, de fil en aiguille, la confrontation extravagante des arsenaux nucléaires ?
De l’analyse linéaire à la critique des fins
Face à l’avenir incertain mais hostile, l’acteur qui veut s’y insérer est donc intellectuellement en peine. Tout outil logique susceptible de le soulager dans sa tâche inquiétante sera le bienvenu, quelqu’imparfait qu’il soit. Mieux : c’est par son imperfection que l’outil sera efficace, transformant la complexité insaisissable en simplicité abusive mais opératoire.
Sous le titre ambitieux d’élaboration d’une politique de défense, l’outil que l’on présente dans nos écoles de guerre, et qui est plus outil pédagogique qu’outil créateur, est en trois questions : quoi défendre ? contre quoi ? avec quoi ? Sa simplicité linéaire — la réponse à la première question servant de départ à la seconde, et ainsi de la seconde à la troisième — convient aux schémas classiques de la politique internationale, telle que Raymond Aron l’a définie dans son beau titre : Paix et guerre entre les nations. Quoi défendre, et c’est la patrie, sol et population, dans ses frontières dûment fixées et reconnues. Contre quoi, et ce sont les nations potentiellement hostiles, et d’abord les plus proches, avec les moyens militaires dont elles disposent et disposeront. Avec quoi, et ce sont les armes et les structures qu’il importe de créer pour au moins équilibrer celles de l’agresseur.
De l’analyse linéaire à la critique des fins
Entrée en scène du socialisme
L’héritage
De la défense elle-même
De l’objet de la Défense : quoi et contre quoi ?
Du plus atroce des moyens : l’arme nucléaire
De la stratégie d’action
Et la dissuasion populaire ?
Changer la vie, changer le service