La Russie est de retour militairement en Afrique, en s’appuyant sur des sociétés militaires privées, proches du Kremlin. Elles permettent à Moscou d’intervenir, souvent au détriment des intérêts de certains États dont la France. Les opérateurs russes disposent de moyens conséquents sans se soucier de règles éthiques.
Les sociétés militaires privées russes en Afrique (1/2) : vers un nouveau modèle d’intervention ?
Russian Private Military Companies in Africa(1/2): a New Model for Intervention?
Militarily speaking, Russia is back in Africa, acting through private military companies with close links to the Kremlin. They allow Moscow to intervene, often to the detriment of other states’ interests—those of France included. Russian operators have access to considerable assets without the need to worry about ethical matters.
Si les ambitions russes en Afrique sont plus visibles depuis les années 2000, l’intérêt de Moscou pour le continent n’est pas nouveau. Il prend racine à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale et se développe vraiment du temps du système communiste mondial, notamment au sein des États communistes africains (Zanzibar, Bénin, Mozambique, Somalie, Éthiopie, Congo-Brazzaville, Madagascar, Angola) à partir de 1970. Six ans après avoir reposé le pied au Moyen-Orient, la Russie lorgne désormais sur l’échiquier africain. Le dernier déploiement militaire permanent dans cette région remonte à 1994 quand la base navale d’Aden au Yémen servait de point d’appui pour la 8e escadre navale russe (2) évoluant dans l’océan Indien. Le soutien apporté à certains pays au travers de partenariats qu’elle noue est autant de débouchés futurs, de perspectives économiques et d’alliés votant dans les instances internationales. En octobre 2019, 43 chefs d’État africains se sont réunis durant le premier Sommet Russie-Afrique à Sotchi autour du Président russe. Le Sommet a permis de mettre en scène l’amitié russo-africaine et de manifester « un attachement commun au multilatéralisme, un refus de l’ingérence et la lutte contre l’exploitation, le racisme et le colonialisme » (3). La deuxième édition de ce Sommet devrait se dérouler cette année dans une capitale africaine.
De la même manière qu’à la faveur de la décolonisation du continent après 1945, la Russie réinvestit le terrain morcelé des pays victimes de crises et de conflits chroniques en quête de sécurité. Ses fournitures de matériels militaires vers l’Afrique croissent parallèlement aux échanges commerciaux, bien que le poids économique de la Russie en Afrique reste relativement bas comparé aux autres acteurs (4), loin derrière l’Union européenne (UE), la Chine, l’Inde, les États-Unis et la Turquie. Le nombre de ses représentations diplomatiques (40) est également inférieur à celui de la Chine (52) (5). Pourtant, les ministères des Affaires étrangères et de la Défense représentent ses meilleurs atouts pour conquérir ce marché qui, à ce jour, ne constitue que 13 % de ses exportations militaires. Or, tout cela a un coût et la Russie en proie aux sanctions internationales n’a pas les moyens économiques de ses ambitions géopolitiques. Devancée par la Chine ou la France – qui plus est par l’UE – sur le volet économique, elle peut toutefois compter sur certains atouts et sur un pragmatisme à toute épreuve.
Éprouvée au cours de l’annexion de la Crimée, dans le soutien aux irrédentismes régionaux dans le Donbass et surtout depuis maintenant six ans sur le théâtre syrien, l’utilisation des SMP-CVK (Casnaia Voennaia Kompania) est consubstantielle d’un « nouveau » modèle interventionniste. Lorsque ce dernier est couplé à l’usage des réseaux sociaux dans des manœuvres d’influence informationnelle, à l’emploi de forces spéciales et de moyens de guerre électronique, la Russie contourne, grâce à une certaine maturité dans l’hybridation des modes opératoires, les faiblesses structurelles en terme de projection de puissance qui limitaient depuis vingt ans ses ambitions géostratégiques. Même si l’usage des CVK est presque toujours nié par la communication officielle du Kremlin, les différents documents constituant la doctrine nationale dans les grands domaines régaliens ne ferment pas la porte aux modes d’actions hybrides. On retrouve cette référence aux « autres forces », dans le concept de politique étrangère de 2016 ainsi que dans la doctrine de sécurité de l’information (6).
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