Editorial
Éditorial
Troisième mois de guerre entre la Russie et l’Ukraine ! Moscou n’arrive pas à gagner et Kiev n’a pas perdu mais, pour autant, ce conflit de haute intensité, où les combats rappellent ceux de la Seconde Guerre mondiale par leur violence tout en utilisant les ressources de la guerre hybride du XXIe siècle, remet en cause l’échiquier international et engage le monde dans des bouleversements durables et des fractures géopolitiques majeures. Si le 11 septembre 2001 avait ouvert un chapitre dramatique de vingt ans qui s’est refermé avec l’évacuation piteuse de Kaboul en août dernier, le 24 février ouvre une nouvelle ère, une boîte de Pandore dont nul ne peut prédire les conséquences. Certes, il ne s’agit pas d’une troisième guerre mondiale – il faut l’espérer – mais désormais d’une mondialisation de la guerre avec ses conséquences notamment économiques comme le risque de pénurie alimentaire, en particulier pour les pays dépendant du blé ukrainien et la hausse accélérée des prix des matières premières.
Alors que parmi les buts de guerre de l’« opération militaire spéciale » voulue par Moscou, l’objectif était de repousser l’Otan et de diviser l’UE – tout en démantelant l’Ukraine, un non-État aux yeux du Kremlin, c’est l’inverse qui est en train de se produire. Ainsi, pour les États neutres de la Baltique, l’adhésion à l’Alliance atlantique paraît désormais comme un gage essentiel de sécurité. L’UE, si réticente à envisager l’idée même de hard power, finance désormais des équipements militaires au profit de l’Ukraine, et les pays européens redoublent d’efforts pour à la fois soutenir Kiev, mais aussi pour se prémunir face à la menace russe. Simultanément, les États-Unis qui avaient délaissé la « vieille Europe » pour un pivot vers l’Asie-Pacifique, réinvestissent le champ européen via l’Otan avec la volonté risquée d’affaiblir durablement la Russie.
L’échiquier bouge donc rapidement avec le retour d’antagonismes anciens et des jeux de rivalité qui avaient été négligés. Il en est ainsi des Balkans un peu oubliés depuis plus d’une décennie et qui voient resurgir des fractures inquiétantes avec un catalyseur qu’est la guerre en Ukraine. C’est en quelque sorte un retour au siècle des nationalismes, le XIXe siècle, qui aboutit en son temps – après que les puissances européennes ont fait preuve d’un somnambulisme suicidaire – aux deux conflits mondiaux. Il en ressort que l’UE doit de toute urgence regarder, mais aussi agir dans cette région dont la déstabilisation probable aura des répercussions directes sur le continent.
De fait, ce printemps annonce des hivers difficiles et à l’heure où la France a choisi de reconduire le président Emmanuel Macron pour un nouveau mandat, il va falloir tirer toutes les conséquences engendrées par la guerre conduite par la Russie contre l’Ukraine. Conséquences pour notre défense, son budget et son organisation avec les leçons tirées du théâtre des opérations – et elles sont déjà nombreuses –, conséquences pour notre diplomatie avec les moyens accordés à nos ambitions en n’oubliant pas que notre pays se veut une puissance – certes moyenne – mais à vocation mondiale, conséquences pour le projet européen avec les remises en question imposées depuis le 24 février, conséquences pour notre propre perception de la citoyenneté dans un pays aux sensibilités politiques exacerbées, alors même que le besoin de cohésion sociale est plus que jamais indispensable pour relever les immenses défis qui nous attendent collectivement. ♦