Opération Poker, au cœur de la dissuasion nucléaire française
Opération Poker, au cœur de la dissuasion nucléaire française
À l’heure où le rapport de forces et les ambitions impériales redeviennent des modes d’action, la compétition stratégique est désormais au cœur des relations internationales. Les ambitions sont ouvertement affichées et la course aux armements une réalité inéluctable. Pékin développe sa marine à une vitesse jamais connue, capable de produire en quatre ans l’équivalent de notre Marine nationale. Moscou veut reprendre l’initiative et se créer un glacis stratégique en réintégrant les États ayant quitté le joug soviétique après 1989. Plus que jamais, l’outil militaire redevient consubstantiel à la puissance géopolitique.
En 1956, en dépit du succès tactique de la reprise du canal de Suez nationalisé par Nasser, la France prit brutalement conscience que, malgré son strapontin obtenu de haute lutte sur le rang des vainqueurs grâce à la ténacité du général de Gaulle, elle avait perdu une grande part de sa souveraineté et donc de sa légitimité sur la scène internationale. Dans le contexte de guerre froide, et bénéficiant de la création du CEA depuis le 18 octobre 1945 par le général de Gaulle et de la reconstruction de l’industrie de défense, la IVe République lança les premiers travaux pour doter la France de la bombe atomique ; ce qui permit au Général, désormais revenu au pouvoir, de concevoir une nouvelle vision de l’autonomie stratégique, basée sur la montée en puissance de la dissuasion nucléaire avec, le 13 février 1960, l’essai Gerboise au Sahara. Puis à partir de 1964 la permanence de la capacité de frappe, avec la prise d’alerte des Mirage IV de la force aérienne stratégique, est devenue une réalité, suivie en 1971 de la mise en service du premier SNLE Redoutable au sein de la FOST, sans oublier les missiles SSBS du plateau d’Albion opérationnels de 1971 à 1996.
Depuis le démantèlement des SSBS, les deux composantes, FAS et FOST, assurent la dissuasion avec une modernisation régulière jamais remise en cause par les présidents de la République successifs.
En 2018, l’amiral Pierre Vandier – devenu depuis chef d’état-major de la Marine – avait publié La Dissuasion au troisième âge nucléaire (Éditions du Rocher), contribuant à mieux expliquer les enjeux et la grammaire spécifique de ces armes si spéciales. Le général (2S) Bruno Maigret, ancien commandant des FAS de 2018 à 2021, avec le colonel Amaury Colcombet, apporte ici une nouvelle contribution éclairant le rôle et le fonctionnement de notre dissuasion, dont on perçoit à l’heure de la crise ukrainienne toute l’importance pour la diplomatie française. Fort d’une connaissance approfondie de cet outil politique, les auteurs plongent le lecteur dans les arcanes des FAS qui capitalisent sur soixante ans d’opérations et d’alerte opérationnelle, mais qui n’ont de cesse de préparer l’avenir pour garantir à l’autorité politique la capacité permanente à assurer la mission dans un contexte non permissif.
Après le binôme Mirage IV – Boeing KC-135, puis l’arrivée du Mirage 2000N en service de 1988 à 2018, aujourd’hui, les FAS montent en puissance avec, à partir de 2018, la mise en service de l’A330 MRTT Phénix conférant aux Rafale une allonge exceptionnelle qui a notamment été démontrée lors de l’opération Hamilton contre la Syrie conduite en avril 2018 avec des munitions conventionnelles. Cette dualité contribue à la flexibilité du dispositif conférant ainsi un éventail de capacités sans équivalent. La polyvalence du Rafale est un atout majeur – désormais reconnu par ses succès à l’exportation – qui est mis en œuvre par du personnel performant et motivé. Cette dimension humaine a toujours prévalu et contribue directement à la crédibilité de la dissuasion. Cela exige non seulement un professionnalisme rigoureux, mais aussi une attention permanente du commandement pour que la condition du personnel soit à la hauteur de l’exigence demandée. Cela oblige aussi à expliquer l’importance de tous les maillons de la chaîne qui est par nature complexe. Chacun doit comprendre sa participation et son implication qui garantissent le bon déroulement et le succès des missions.
À cet égard, le dernier chapitre décrit un exercice Poker, rendez-vous majeur et régulier qui permet de concrétiser toute la réalité d’un raid nucléaire – hormis bien sûr, l’emploi de l’arme elle-même. Cela met en œuvre une grande partie des composantes de l’Armée de l’air et de l’espace, permettant de garantir à l’autorité politique que l’outil FAS est opérationnel. C’est aussi – dans la grammaire de la dissuasion – un message envoyé à nos compétiteurs stratégiques signifiant le haut niveau atteint par nos forces.
L’ambition définie au début des années 1960 par le général de Gaulle est aujourd’hui parfaitement mature et donne à la France une vraie stature stratégique. La prochaine étape sera l’arrivée du standard F4 pour le Rafale, puis à partir de 2035 le nouveau missile ASN4G qui succédera à l’actuel ASMP-A rénové dont le premier tir a été effectué en décembre 2020.
Plus que jamais, alors que les tensions ravivent le temps de la guerre froide, la dissuasion nucléaire avec ses deux composantes FAS et FOST demeure indispensable. Ce livre, bien documenté, apporte ainsi sa pierre à l’édifice en informant sur la réalité de notre politique de défense et en contribuant à faire connaître ceux qui protègent, jour et nuit, les intérêts vitaux de notre nation. ♦