Éditorial
Editorial
Trois mois d’une guerre qui semble sans fin. Une opération spéciale militaire d’un côté, une guerre totale de l’autre avec une nation unie face à l’ennemi. Une guerre dont la violence à l’heure de la technologie rappelle les heures sombres des deux guerres mondiales qui ravagèrent notamment le continent européen et dont visiblement les cicatrices ne sont pas guéries. Une guerre où la population ukrainienne est autant la cible que les combattants, malgré les dénégations de la partie russe. Une guerre où les systèmes d’armes – souvent identiques de part et d’autre, car de conception soviétique – sont utilisés avec des doctrines totalement différentes. Agilité et subsidiarité, complémentarité entre soldats professionnels, volontaires, miliciens et des citoyens solidaires d’un côté. Pesanteur hiérarchique, manque d’initiative, logistique défaillante, une opinion publique abreuvée d’une propagande s’efforçant de masquer l’ampleur des difficultés tactiques sur le terrain, de l’autre.
Et depuis ce 24 février, les pièces de l’échiquier géopolitique ne cessent de se mouvoir et de surprendre. La Suède et la Finlande, membres de l’Union européenne, mais à la neutralité longtemps affirmée, demandent à rejoindre l’Otan. L’UE, si peu concernée par les questions de défense, constate que le soft power ne suffit plus et remet en cause bien des aspects de sa politique dont le financement des industries de défense jugé hier négativement et aujourd’hui perçu comme prioritaire. Effectivement, un nouveau rideau de fer s’est abattu à l’Est, avec des conséquences dont on mesure mal encore l’ampleur. Déjà, la mondialisation de la guerre est un fait avec l’accélération de la hausse de certaines matières premières comme les céréales. Déjà, on s’interroge pour savoir comment nourrir certaines nations, en particulier du Sud. Les schémas économiques qui avaient vu la Russie être intégrée dans les réseaux de la mondialisation doivent être revus dans l’urgence. Les incertitudes stratégiques ne cessent de croître chaque jour car, jusqu’à présent, seules les armes parlent. Le temps de la diplomatie n’est pas encore venu.
Le paradoxe du moment ou le hasard des choix font que le dossier de la chaire des Grands enjeux stratégiques de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, dirigée par Louis Gautier, porte sur les guerres technologiques et les nouveaux espaces de conflictualité. Les réflexions proposées ici se révèlent particulièrement pertinentes au regard de la guerre actuelle aux portes de l’Europe. Certes, on a souvent écrit sur l’hybridité de la guerre, les approches indirectes via le cyber et la désinformation, la transformation des tactiques avec le numérique comme outil principal. Cette guerre mêle surtout aussi bien des armements mis en service au début du XXe siècle que les technologies du XXIe. D’où cette formule de guerre « bâtarde » qui s’applique à ce conflit majeur.
Celui-ci va nous obliger à s’assurer que notre politique de défense puisse répondre à ce contexte stratégique qui va modifier durablement les déséquilibres du monde. C’est un chantier majeur qui s’ouvre avec la question des déficits publics, mais il ne faudrait pas sacrifier telle capacité, car peu concernée au regard de cette guerre essentiellement terrestre, alors même que la Chine, notamment, poursuit son jeu de go ailleurs.
La RDN poursuivra ces réflexions sur ces mutations tout au long des mois à venir. Il y va de l’avenir de notre indépendance, de notre souveraineté et donc de nos libertés. ♦