L’espace, après avoir été l’objet d’une compétition majeure entre les États-Unis et l’URSS, est aujourd’hui un lieu particulier pour les rivalités politiques et technologiques d’acteurs de plus en plus nombreux, étatiques ou privés. Les projets sont ambitieux et montrent un intérêt croissant pour l’espace.
L’espace, lieu particulier des rivalités politiques et technologiques
Space: a Privileged Place for Political and Technological Rivalry
Once the subject of major competition between the United States and the USSR, space has today become a somewhat privileged place for political and technological rivalry between an increasing number of players, both state and private. Their ambitious projects reveal a growing interest for space.
Depuis une dizaine d’années, les activités dans l’espace circumterrestre se sont considérablement diversifiées avec des satellites de nationalités plus variées, plus petits et l’intervention de plus en plus marquée d’entrepreneurs. Ceux-ci, essentiellement américains, proposent de nouvelles modalités d’occupation au travers de constellations, de la commercialisation de lanceurs privés et de l’affichage d’objectifs propres dans les domaines des vols habités et de l’exploration, jusque-là exclusivement réservés aux agences spatiales. Ainsi, alors que depuis le début de l’ère spatiale, la maîtrise de capacités spatiales a toujours servi de symbole de modernité et de démonstration de compétences technologiques de haut niveau, illustrant et construisant les rivalités politiques entre États, d’autres formes de rivalité s’installent. La logique initiale d’utilisation du milieu spatial, configurée par les conditions stratégiques de la guerre froide et une relation particulière à la puissance nucléaire qui n’a pas disparu (1), fait de l’espace un lieu de projection des rivalités terrestres. Les usages actuels intègrent la dimension particulière des activités spatiales, à savoir sa vocation planétaire. Les ambitions futures, telles qu’elles se dessinent en 2022, combinent différemment selon les priorités des États les aspects technologiques et politiques, la place du civil et du militaire, des acteurs privés et des acteurs publics. Elles renvoient cependant dans tous les cas à la question cruciale de la mise en place de cadres adaptés aux enjeux de la sécurité dans l’espace.
Le milieu spatial, théâtre particulier des rivalités terrestres
Le statut de l’espace extra-atmosphérique est profondément original du point de vue juridique. Les objets en orbite circulent librement, ignorant les frontières terrestres, il n’y a pas d’appropriation possible et les usages se doivent d’être pacifiques. Ce cadre posé par le Traité de 1967 reste cependant très général. L’ère spatiale ouverte sous la bannière de la coopération dans le cadre scientifique de l’année géophysique internationale se construit sur la base de la rivalité entre les États-Unis et l’Union soviétique. L’hostilité du milieu et les conditions de son accès supposent l’existence d’un socle scientifique et technologique minimal soutenu par des capacités industrielles et financières assurées dans la durée si bien que seuls l’Union soviétique et les États-Unis sont véritablement présents dans l’espace jusque dans les années 1980. Les rivalités entretenues dans l’espace s’inscrivent dans la volonté d’influence internationale de chacun des deux Grands. Les premières soviétiques, Spoutnik, Gagarine, les photos de la face cachée de la Lune, la marche sur la Lune des Américains du programme Apollo sont devenues des événements iconiques du XXe siècle, en tant qu’exploits techniques, mais aussi comme instruments idéologiques de la réussite des modèles respectifs. Moins visible, la décision des États-Unis de mise à disposition de la communauté internationale de leurs systèmes de télécommunications par satellite (Intelsat), de télédétection (Landsat), de navigation (GPS) contribue efficacement à leur pouvoir d’influence en capitalisant sur leurs avancées technologiques. Jusqu’à la fin des années 1990, les capacités spatiales illustrent les capacités respectives des deux Grands et la supériorité croissante des États-Unis, les modes d’expression de leur rivalité restant symboliques, leur rivalité militaire ne donnant lieu qu’à des manifestations limitées via des essais antisatellites vite interrompus.
Trente ans plus tard, l’usage de l’espace comme marqueur d’image internationale fonctionne toujours. Le traitement médiatique des missions spatiales ne faisant souvent que refléter les grilles de lecture des rivalités terrestres, la valeur politique et technologique de l’espace continue à être mobilisée. L’attention particulière portée en 2008 à la mission lunaire chinoise Chang’e au détriment de la sonde indienne Chandrayaan, lancée la même année, a ainsi déclenché la décision de l’Inde de lancer la sonde Mangalyaan afin de devenir la première puissance asiatique à orbiter autour de Mars en 2013. L’affirmation des compétences technologiques va alors de pair avec l’insistance sur le caractère national d’innovation frugale (jugaad) (2). La célébration en 2021 de la mission émiratie vers Mars, Hope, illustre encore le poids de l’exploration spatiale dans la construction d’une image, celle du retour de la grandeur scientifique de la nation arabe. Le retentissement parfaitement orchestré est tel que les Émirats arabes unis sont soudain présentés comme une puissance spatiale, alors qu’ils ne possèdent ni lanceur ni base nationale. L’annonce par le Premier ministre turc Erdogan dans son message de félicitations aux EAU d’une mission lunaire nationale confirme cette association des réalisations spatiales à la fierté nationale.
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