Le pilotage des drones a modifié le rapport entre l’équipage et la machine par absence de liens physiques. Cela a entraîné des évolutions profondes pour la compréhension de la mission. Le temps et l’usage permettront d’améliorer l’appréhension d’un système complexe et novateur.
Guerre à distance : le point de vue des équipages de drones
Remote Warfare: the Drone Crews’ Point of View
The way drones are piloted has changed the relationship between the crew and the machine by virtue of the lack of physical links between them. It has led to a significant evolution in understanding the mission. Experience of drone use over time has led to improved understanding of a complex and innovative system.
Cet article interroge centralement, à partir d’observations et d’entretiens recueillis sur le terrain des escadrons de chasse et de drones de l’Armée de l’air française (1), ce que la technologisation de la guerre fait au combattant aérien. Il sera plus particulièrement question des effets de la mise à distance des combattants sur l’organisation des collectifs de travail et sur les conditions de leur engagement dans une activité en réseau. L’avènement des drones produit un basculement : le pilote n’est plus dans la machine volante (ce qui modifie les conditions de son engagement corporel dans l’activité) ; il devient partie prenante d’un grand système technique composé de machines, de circulation d’informations et d’humains. Notre enquête a exploré les enjeux de ce moment de tension entre décomposition (savoirs faire obsolètes) et recomposition (quelle place pour les opérateurs dans le nouveau système ?) et tenté de restituer les conditions de la guerre technologique vue par ceux qui la font.
« Mettre son corps en aventure de mort »
Pour comprendre le basculement opéré par la mise en service des drones, il importe de mettre en évidence le socle des valeurs, aujourd’hui plus ou moins stables, qui construisent le rapport au combat. L’aguerrissement est un processus à la fois physique et moral au long cours qui vise à transformer les hommes en guerrier, les pilotes en chasseurs. Affronter la peur, faire la preuve de son courage, maîtriser son corps et son geste dans des situations extrêmes sont au cœur de ce processus. Car il s’agit de produire l’impensable et de rester humain, c’est-à-dire de garder sa place dans la communauté des hommes : transformer les hommes en guerriers et les restaurer dans leur humanité participent, dans un double mouvement, du processus d’aguerrissement. Le collectif – l’escadron, la patrouille – apparaît comme un régulateur social et symbolique qui inscrit la guerre comme action sociale et régule la violence. La mission opérationnelle place les équipages dans une situation matérielle, corporelle, émotionnelle, temporelle et sociale hors du commun et de la routine, car aller au combat revient à s’engager dans un rapport singulier et absolu à l’altérité. « Mettre son corps en aventure de mort », telle était la définition de la guerre au Moyen Âge (Contamine, 1980). Nous l’utilisons comme point de départ. Il s’agit en effet dans la guerre de risquer délibérément sa vie et d’attenter à celle de l’autre.
Parmi les données anthropologiques qui structurent l’expérience du combat figurent, en premier lieu, les moyens qui permettent de juguler la peur, de la dominer, de l’empêcher de se diffuser, de proche en proche, par contagion (ce qu’on appelle le « courage »). Quelle que soit la configuration du conflit, la peur constitue une donnée irréductible propre à la mise en danger de soi, au fait de s’exposer au danger de mort.
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