Les Dix-Mille
Les Dix-Mille
Vingt-quatre siècles se sont écoulés depuis l’Anabase ou le périple des Dix-Mille. L’Athénien Xénophon est à la fois acteur et chroniqueur des événements qu’il relate, dans un style étonnamment moderne et très agréable à lire grâce à une nouvelle traduction due à Pascal Charvet et Annie Collognat.
Babylone, 404 avant J.-C. le roi de Perse Darius II meurt. Il laisse deux fils, l’aîné se nomme Artaxerxès et le second Cyrus. Ce dernier n’a qu’une ambition, s’emparer du trône de son frère le Grand Roi. Dans le plus grand secret, du fond de l’Asie Mineure dans la riche province de Lydie dont il a été nommé satrape par son père, Cyrus prépare ses forces.
La même année 404, Sparte emporte une victoire définitive sur Athènes et met fin à la longue guerre du Péloponnèse. Dans les derniers temps de cette guerre, Cyrus avait apporté un soutien substantiel aux Spartiates. Depuis la fin de ce conflit, il maintient une intense activité diplomatique avec ses voisins occidentaux et recrute le plus possible de troupes grecques pour soutenir ses forces perses. La phalange hoplitique grecque, formation de fantassins lourdement armés, est en effet sans égale dans le monde militaire de cette époque. Les 13 000 mercenaires qu’il embauche ainsi sont des volontaires démobilisés qui proviennent des différentes cités grecques. Tous ces hommes aguerris obéissent à des règles communes qui imposent notamment que les décisions soient prises démocratiquement à la majorité de l’assemblée des chefs, voire de tous les soldats réunis.
Conduits par Cyrus, l’armée perse et le corps des Grecs se mettent en route vers l’est au printemps 401. À l’automne, ils franchissent les « Portes de Syrie » et Cyrus donne alors à son expédition un caractère irréversible qui ne manque pas d’alerter Artaxerxès II. Xénophon décrit le périple étape par étape (environ 25 km par jour) à la façon d’un guide de voyage moderne, mentionnant les principales caractéristiques géographiques et culturelles locales, ne manquant pas d’indiquer les cours d’eau qu’il convient de traverser avec armes et bagages. Aller et retour, les Grecs parcourront environ 6 000 kilomètres.
Vers le mois de novembre 401, Cyrus est à Counaxa où aura lieu le combat décisif sur la rive gauche de l’Euphrate, à une soixantaine de kilomètres au nord de Babylone. Le terrain est aride. Le Grand Roi a rassemblé environ 50 000 hommes, dont une puissante cavalerie de 10 000 chevaux ; Cyrus aligne 30 000 soldats, dont les 13 000 Grecs. Cyrus impétueux a bientôt blessé son frère, mais se retrouve isolé et finit par être tué d’un coup de javelot.
Les Grecs commandés par Cléarchos ont habilement manœuvré pour ne pas se faire encercler. Ils se retrouvent finalement isolés, sans chef ni objectif, mais invaincus devant une armée perse qui se dérobe. Ils sont repoussés par Artaxerxès II qui ne se risque pas à les affronter directement, et mène une politique de harcèlement et de terre brûlée pour les chasser de Perse. C’est alors que commence l’Odyssée du retour, la catabase ou descente des hautes terres vers le Pont-Euxin.
Désormais dépourvus de guides et de repères, les Grecs ne sont plus que les Dix-Mille, où Xénophon élu chef de corps va jouer un rôle de plus en plus central. Il ne cesse de prendre la parole pour exhorter les soldats à rester soudés et à garder espoir en Zeus Sauveur. Cette longue marche sous constante menace ennemie au milieu de peuples très divers, est une errance héroïque, un extraordinaire voyage d’exploration et de découverte qui préfigure ce que leurs descendants accompliront avec Alexandre le Grand. Bientôt, cependant, ils ne seront plus que des guerriers nomades pillant pour survivre, pareils aux hordes qui déferleront plus tard sur l’empire romain.
Le style sobre et incisif du magistral Xénophon maintient le lecteur dans l’impatience de la suite du récit, même s’il s’agit de décrire une sorte de débâcle. Les Grecs finissent par longer la partie sud de la mer Noire, où sont situés de nombreux comptoirs amis, quoique le nombre élevé de soldats reste un motif récurrent de troubles.
Sous la remarquable plume de Xénophon, l’épopée des Dix-Mille fait partie de ces monuments littéraires intemporels qui marquent la culture occidentale. ♦