1961-1962 : l’Algérie choisit l’indépendance, après des années de guerre et de violence. Pourtant, les nouveaux élèves de l’ENA y sont affectés, souvent après y avoir servi sous l’uniforme. Et surtout avec l’ambition d’y agir pour le bien collectif, voyant alors leurs illusions s’envoler face aux déchirures entre Européens et Algériens.
De la rue Saint-Guillaume à l’Algérie déchirée
From rue Saint-Guillaume to a Shattered Algeria
1961-1962: Algeria chose independence after years of war and violence, despite which newly-graduated pupils from the ENA (the national school of administration) were appointed to the country, often having already served there in uniform. They went with great ambition to act for the common good yet saw their illusions evaporate in the face of rifts between Europeans and Algerians.
En juin 1961, j’ai vingt ans et mon fiancé, vingt-sept. Nous allons nous marier le mois suivant à Paris, mais depuis quelques semaines, nous sommes séparés puisque les nouveaux élèves sortis de l’ENA en mai ont été affectés pour un an en Algérie tandis que je passe à Paris les épreuves finales du diplôme de Sciences Po.
Nous nous sommes rencontrés en janvier 1960, à l’occasion d’une querelle : élue au bureau des élèves de Sciences Po, très marquée par l’influence de L’Express et de Jean-Jacques Servan-Schreiber, je fais le piquet de grève devant le 19 de la rue Saint-Guillaume pour protester contre ce que j’ai lu sur la torture en Algérie, la suppression de sursis jugés abusifs et le départ de nouveaux appelés. Un jeune homme me bouscule alors et passe outre, en me disant que je ne sais pas de quoi je parle. De fait, j’ignore qu’il vient de passer vingt mois comme officier SAS (sections administratives spécialisées) dans un village de regroupement situé sur les contreforts de la Kabylie. Bien des décennies plus tard, seulement, en triant quelques vieux papiers, je découvrirai des lettres de ses amis et amies répondant à une collecte qu’il a organisée pour doter son village d’un appareil de radioscopie et j’apprendrai aussi que, presque à la même époque, il a reçu la croix de la valeur militaire pour avoir, « le 10 février 1959, pris spontanément le commandement de cinq hommes pour barrer un passage aux rebelles et permis la mise hors de combat de sept rebelles et la prise de six armes de guerre… ». De ces souvenirs contrastés, il ne m’a jamais parlé.
Il reste 93 % de l'article à lire
Plan de l'article