Depuis le XVIIIe siècle, rares ont été les périodes où la Marine et l’Armée se retrouvent à des points d’équilibre. Trop souvent, les efforts ont été mal répartis tant dans les équipements, l’organisation et les doctrines, avec à chaque fois des conséquences graves comme en 1870 et 1940.
Histoire militaire – L’absence permanente d’équilibre entre la Marine et l’Armée, de l’Ancien Régime à nos jours
Military History—the Permanent Imbalance Between Navy and Army: from the Ancien Régime to Today
Since the 18th Century, the periods in which the Navy and the Army have found a reasonable balance have been rare. In equipment, organisation and doctrine, the necessary effort has too often been badly directed, on each occasion leading to serious consequences—as in 1870 and 1940.
Si on en croit Thucydide, la victoire navale athénienne de Salamine a été permise par celle remportée sur terre par Leonidas aux Thermopyles (480 av. J.-C.). Cette observation incite à penser que toute nation, aspirant à la puissance, se doit de pouvoir disposer d’un outil militaire cohérent et complémentaire avec l’outil naval, de telle sorte qu’aucun des deux n’exerce une sorte de monopole sur les choix stratégiques des dirigeants. C’est à cet équilibre entre les légions manœuvrant à terre et les galères assurant sa liberté d’action sur mer qu’était parvenue Rome, ce qui lui a permis le contrôle du bassin méditerranéen, des siècles durant. Or, en France, puissance à la fois continentale et maritime par sa géographie, à l’exception notable du règne de Louis XVI, l’histoire militaire et l’histoire navale se sont conjuguées pour que le pays ne dispose jamais de moyens militaires terrestres et maritimes équilibrés dans leur puissance. Cette malheureuse constante a été un vrai drame, pour la France et pour ses armes.
Alors que sous Louis XV, lors de la guerre de Sept Ans, les performances navales face à la Flotte britannique furent bien plus qu’honorables, notamment grâce à l’action sur mer du plus grand amiral que la France ait jamais connu, Suffren, les engagements terrestres face à l’armée prussienne se révélèrent assez médiocres (la défaite de Rossbach est là pour en témoigner). Louis XVI, roi dont l’action fut pourtant largement décriée, eut la sagesse de redresser la barre grâce à deux ministres d’exception, Sartine à la Marine et Saint-Germain à la Guerre. Tous deux, poursuivant l’œuvre réformatrice entreprise sous Choiseul, parvinrent à réformer en profondeur l’outil dont ils avaient la charge. Sartine réforma le statut des ports et des arsenaux, plaça définitivement la Marine sous les ordres des amiraux et multiplia les constructions neuves. À la Guerre, le comte de Saint-Germain, en codifiant officiellement la pensée du comte de Guibert, lança la pérennisation du système divisionnaire en instituant pour la première fois des divisions permanentes au sein de l’Armée. Comme dans la Marine de Sartine, le recrutement, la formation et les cursus de carrière des officiers furent rationalisés. Ces efforts en profondeur furent permis par le fait que, pour la première fois depuis Hugues Capet, la France connut plus de trente années de paix entre 1763 et 1792, alors que la France de Louis XIV ne connut que quelques rares éclipses de paix, au cours d’une cinquantaine d’années de guerres quasi permanentes, ce qui n’est guère propice aux réformes en profondeur (1). De manière tout à fait symbolique, la victoire française de Yorktown fut une victoire, à la fois terrestre et navale.
Cette situation allait sombrer au début de la Révolution. Alors que l’émigration toucha relativement peu le corps des officiers dans l’Armée (2), ce qui permit l’amalgame de la vieille armée royale avec les bataillons de volontaires révolutionnaires qui allaient fusionner dans l’armée qui devait conquérir l’Europe, dans la Marine, les officiers de vaisseau émigrèrent en masse, abandonnant leurs équipages. Faute d’encadrement, la Flotte ne navigua pratiquement plus, ce qui fut dramatique. Si Austerlitz, Iéna, Friedland et Wagram durent autant au génie militaire de Napoléon qu’à la solidité profonde de cette armée, dans la Marine, Aboukir et Trafalgar furent les conséquences directes du délabrement d’un outil qui fut glorieux, mais que ses chefs avaient abandonné. Dans la Grande Armée, en 1809, plus de la moitié des généraux de cavalerie étaient des officiers gentilhommes d’Ancien Régime, ce qui ne les avait pas empêchés de se couvrir de gloire lors des campagnes révolutionnaires. Les plus emblématiques furent les trois frères Colbert, descendant en ligne directe du ministre de Louis XIV. Dans la Marine, Villeneuve était le seul amiral issu de la Flotte de Sartine !
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