Attendez ici – Terminé
Attendez ici – Terminé
« Je suis un soldat et j’écris sur l’absurdité de la guerre. Mais je suis un officier et j’écris sur la beauté du soldat. » Ces deux phrases employées par l’auteur, le colonel Noê-Noël Uchida, résument à elles seules la densité de ce court récit. À travers cet ouvrage inspiré d’événements réels et composé comme un journal de bord, on parcourt six années (de 1968 à 1974) de la vie d’un groupe de soldats japonais. Laissés sur l’île de Ko Samui dans le golfe de Thaïlande, depuis l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale, ces hommes continuent d’œuvrer au même but : mobiliser du renseignement et affaiblir l’ennemi (en l’occurrence américain), afin de concourir à la victoire de l’Empire du Japon. Plus de vingt années séparent la formulation de cet objectif à la continuité de son application, mais les soldats, qui ignorent la fin de la guerre (car ils ignorent également les annonces allant dans ce sens, les considérant comme de la propagande), participent toujours hardiment à sa concrétisation. Ainsi pensent-ils mettre en œuvre une tactique efficace, servant une stratégie audacieuse ; il s’agit en réalité d’une tactique précise pour une stratégie depuis longtemps obsolète.
Ce « carnet de bord », orné de dessins, semble avoir été rédigé par un soldat extérieur qui aurait pris part au groupe, afin d’en commenter l’organisation et le fonctionnement. L’auteur propose donc un regard profondément humain sur la vie de ces hommes : les divers événements, amers ou joyeux, douloureux ou légers, sont autant d’occasions de révéler les caractères et l’alchimie des militaires entre eux. On découvre, au-delà de la stricte hiérarchie, des appréhensions et des attentes que le lecteur peut facilement imaginer, teintées de réminiscences ou de souvenirs : parfois des épisodes passés ressurgissent, ancrant les soldats dans un contexte culturel particulier. L’auteur propose également un regard très technique, sur les manœuvres militaires, les déplacements et la récolte de renseignements ; dans des descriptions claires et précises, le lecteur comprend l’importance des caches, les précautions prises face à l’ennemi. L’environnement hostile, celui de la jungle, fourmille de détails et de sensations : fort de son expérience sur le terrain, le colonel Noê-Noël Uchida dresse avec rigueur le décor de ce huis clos insulaire.
L’auteur délivre aussi un regard objectif sur la mission de ces soldats : se gardant de tout jugement quant à leurs agissements et dévouement – ou même, d’une analyse possiblement hasardeuse et prétentieuse – le colonel Uchida fournit les informations essentielles permettant de mieux comprendre la réalité – même déformée – d’un soldat japonais au service de son Empire déchu depuis plus de vingt ans, agissant dans le contexte d’une guerre morte. L’histoire de ces hommes pourrait sembler bien incompréhensible aux yeux d’un lecteur occidental du XXIe siècle ; pourtant, en une centaine de pages, au-delà d’un schéma très spécifique propre à la Seconde Guerre mondiale, à la stratégie japonaise et au monde militaire, on retrouve des sentiments communs, peut-être connus. Mais l’extrême complexité de l’environnement et la tension permanente dans laquelle vivent ces hommes imposent aussi une humilité et une objectivité nécessaires.
Les militaires protagonistes dépeints dans cet ouvrage sont des personnages inspirés de vrais soldats – chacun ayant connu une route et un destin différents. Le colonel Uchida les cite : il s’agit du lieutenant Hiroō Onoda, de Shoichi Yokoi, de Teruo Nakamura et d’Itō Masashi. Ainsi, le lieutenant Onoda et son groupe, déployés sur l’île philippine de Lubang, ont combattu durant trente ans, jusqu’en 1972. À la question trop souvent employée : « La guerre a-t-elle un sens ? », cet ouvrage apporte ses lumières : non, la guerre n’a pas de sens ; elle porte ceux qu’on lui trouve ! ♦