Editorial
Éditorial
Le temps des « dividendes de la paix » est désormais bien loin. Finie l’idée que la défense était une dépense qu’il fallait diminuer au maximum. Finie l’idée que la paix sur le continent européen était devenue éternelle et qu’il fallait transformer les armées des pays du Vieux Continent en des super-agences de sécurité. Finie l’idée que le « doux commerce », chère à Montesquieu, allait surmonter les rivalités entre les États et que les dépendances communes déséquilibrées étaient facteurs de progrès et de paix. Finie l’idée qu’Internet était pour le bien commun en permettant une accélération de la diffusion de la connaissance et que le meilleur de l’intelligence humaine allait faire progresser l’humanité.
Avant même la guerre de Moscou contre l’Ukraine, déjà la crise de la Covid-19 avait révélé nos vulnérabilités dans de nombreux domaines avec une mondialisation de nos économies mal maîtrisées et sans régulation. Le réveil a d’ailleurs été brutal en constatant que des capacités traditionnellement considérées comme acquises depuis longtemps n’existaient plus ou avaient disparu au nom d’une économie ultralibérale censée résoudre tous les problèmes en favorisant une concurrence débridée. Les réseaux sociaux, certes porteurs d’intelligence collective, autorisent aussi les pires excès de la désinformation, du contrôle social comme en Chine et l’étouffement de toute opposition comme en Russie, tout en remettant en cause la souveraineté d’États démocratiques et la liberté des citoyens.
Depuis le 24 février 2022, tout s’est accéléré. Bien sûr dans le champ de la défense. Qui aurait cru, il y a encore un an, que les médias s’intéresseraient à la fabrication des canons Caesar ou des cadences de production d’obus de 155 mm ? Qui s’intéressait encore aux forces morales d’une nation confrontée à l’épreuve de la guerre ? Au mieux quelques documentaires sur des chaînes de télévision traitant de l’histoire ou à l’occasion d’anniversaires saluant le sacrifice de nos grands anciens, en espérant évidemment que tout cela était bien terminé et appartenait au passé. Or, la réalité est tout autre. La violence engendrée par Moscou ne se limite pas à la malheureuse Ukraine. La guerre froide 3.0 est désormais une réalité menaçant directement l’Europe et l’obligeant à réagir et à se réarmer non seulement sur le plan militaire, mais aussi sur le plan des forces morales pour affronter la nouvelle réalité géopolitique.
Parmi les axes d’effort devant conforter notre souveraineté, on redécouvre la question de notre agriculture et de nos dépendances croissantes. Le paradoxe est que les consommateurs que nous sommes ne se rendent plus compte de cette réalité, comme si nos assiettes seraient toujours abondamment remplies. Entre les débats sur les politiques agricoles européennes, les enjeux écologiques et l’engouement des produits bio, avec souvent des approches très idéologisées, il y a besoin aussi de comprendre les grandes mutations du secteur et les déséquilibres croissants souvent au détriment de notre capacité à maîtriser intelligemment des dépendances croisées. On retrouve ainsi quelques fondamentaux qui avaient été « volontairement » oubliés. D’où le fait que le débat stratégique porté par la RDN dépasse largement le simple cadre militaire. ♦