La guerre en Ukraine a révélé l’importance de l’agriculture et son rôle stratégique, un peu oubliés ces dernières années. La crise de production doit inciter l’Union européenne à réfléchir ses priorités en remettant en valeur sa Politique agricole commune (PAC), vecteur de souveraineté et d’équilibre, y compris au niveau mondial.
Pourquoi l’Ukraine révèle plusieurs débats stratégiques sur l’agriculture
Why Ukraine Raises Strategic Debate about Agriculture
The war in Ukraine has revealed the importance of agriculture and its strategic role, somewhat forgotten in recent years. The crisis of production should encourage the European Union to rethink its priorities by giving a boost to the common agricultural policy (CAP), a factor of sovereignty and balance acting on a global level, too.
Parmi les nombreux réveils géopolitiques douloureux en cours figure l’état de la sécurité alimentaire mondiale. Comme toujours, sur cette question pourtant atemporelle, universelle et vitale, il faut parfois attendre des crises majeures pour qu’une partie de la planète, placée dans un confort alimentaire certain, s’en soucie pleinement. Nos regards sont ici évidemment tournés vers l’Europe, dont l’attention stratégique n’a pas suffisamment porté sur ces sujets au cours des dernières années. Or, tant pour le monde que pour l’UE, il s’agit d’un enjeu déterminant, que le conflit ukrainien rappelle tragiquement.
Replacer l’Ukraine dans une perspective globale
Nous venons de franchir la barre des huit milliards d’habitants, mais un milliard souffre de la faim et deux autres mangent insuffisamment et sans aucun équilibre nutritionnel (1) ! La géographie est d’une terrible brutalité pour l’agriculture. Cette activité ne peut se développer uniformément sur les territoires. Les inégalités en dotation de ressources naturelles (sols, eaux) s’aggravent tandis que les évolutions météorologiques complexifient la production agricole. À son incertitude habituelle s’ajoute une grande variabilité interannuelle.
Qu’on se le dise, les changements climatiques accentuent les interdépendances internationales en matière de sécurité alimentaire. Ces dynamiques s’inscrivent dans un contexte où précisément le monde bascule dans une nouvelle ère stratégique, entre désoccidentalisation accélérée et affirmation de puissances désinhibées. Là où il faudrait plus de coopération et de solidarité pour développer une agriculture qui puisse être à la fois performante pour nourrir, mais aussi soutenable pour protéger les écosystèmes, nous observons que le réarmement agricole mondial se traduit par des politiques concurrentielles et des logiques confrontationnelles (2). Si la stabilité détermine la trajectoire agricole pour un espace ou un pays, il en va de même à l’échelle du globe. Il convient également de défendre le multilatéralisme autant que possible et éviter les stratégies du chacun pour soi dont l’histoire enseigne qu’elles ne mènent jamais nulle part, sauf aux tensions voire aux conflits. Dans ce sens, voir que certains cherchent à enfermer les concepts de souveraineté, y compris dans le champ agricole et alimentaire, sous un prisme nationaliste ou ultra-local, s’avère préoccupant. Les défis du monde contemporain appellent à plus de coopération et plus de coordination. C’est d’ailleurs de souveraineté solidaire et non pas solitaire qu’il convient de parler, bien que coopération, liberté, compétition et sécurité puissent tour à tour, en se combinant ou en s’opposant, engendrer parfois des innovations et des intégrations mais aussi des exclusions et des conservatismes (3).
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