Le sucre est un produit stratégique depuis le XVIIe siècle. Napoléon a structuré la filière à partir de la culture de la betterave avec un succès qui a perduré jusqu’au début du XXIe siècle. Aujourd’hui, l’absence d’une politique publique entraîne des difficultés majeures au point de faire perdre à la France ses capacités de production.
Les filières sucrières : un reflet des politiques publiques ?
The Sugar Industry: a Reflection of Public Policies?
Sugar has been a strategic product since the 17th century. Napoleon structured the industry on the culture of sugar beet—a successful policy that lasted until the beginning of the 21st century. Today’s lack of public policy is leading to major difficulty, to the extent that France is losing its production capacity.
C’est à des fins géopolitiques et économiques, que la filière sucrière française a été construite au XIXe siècle. Exemple réussi des ambitions agricoles de l’après-guerre, cette filière apparaissait à la fin du XXe siècle comme un modèle de filière structurée et robuste. Le tournant libéral appliqué à la politique agricole communautaire en 2017, suivi peu de temps après par une politique environnementale ambitieuse, sont autant de défis auxquels elle a dû, et doit encore, faire face. Et si la filière betteravière était le reflet de la place géostratégique que l’on accorde à l’agriculture – et de nos ambitions politiques pour y parvenir ?
Le sucre, une denrée construite par l’histoire
Une épice réservée aux élites jusqu’au XVIe siècle
Connu dès l’Antiquité, le sucre est tout d’abord considéré comme une épice et l’Europe en importe alors d’Inde, où il est produit à partir de la canne à sucre que les Grecs appellent le « roseau qui donne du miel ». Entre le Xe et le XIIIe siècle, les Croisés découvrent au Moyen-Orient ses propriétés conservatrices, qui permettent de consommer des fruits en hiver. Toutefois, ce n’est qu’au XVIe siècle que cela se formalise : on retiendra l’ouvrage dédié aux confitures écrit par Nostradamus en 1555, pour un usage médicinal, peu de temps après l’apparition du mot « dessert » en 1539 !
La maîtrise des flux commerciaux du sucre, un enjeu stratégique dès le XVIIe siècle
L’engouement pour ce produit vivifiant et réconfortant traverse l’Europe dans des siècles où l’exotisme est recherché, mais reste un produit de luxe. L’implantation de la canne à sucre, au Brésil par les Portugais tout d’abord, puis par les Néerlandais et les Français dans les Antilles, a vocation à maîtriser l’approvisionnement en sucre. Cependant, le travail de la canne y est fastidieux, et l’alimentation des sucreries nécessite une organisation menée à la baguette. On fera appel aux esclaves et le Code Noir, à la fin du XVIIe siècle, entend encadrer l’expansion de la filière. En moins d’un siècle, les Antilles françaises produisent la moitié du sucre du globe et la France devient incontournable dans son commerce mondial. Le pouvoir géopolitique du Royaume est à son comble, et peu de voix s’émeuvent de la façon dont cette manne est obtenue – même si Candide, en 1759, essaye de réveiller les consciences : « c’est à ce prix que vous mangez du sucre ».
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